Comment la croisade homophobe d’une chanteuse conservatrice et religieuse aboutit à sa propre mise sur le bûcher

Anita Bryant – reine de beauté, de la folk et du jus d’orange

 

 

Comment une Miss Oklahoma 1958 devenue chanteuse folk à succès et l’ambassadrice d’une marque de jus d’orange a-t-elle pu devenir en quelques années une sorcière honnie et moquée par des millions d’américains ? Grande question à laquelle on ne peut répondre sans ces trois ingrédients typiquement américains : la religion, les médias et le sexe. Enfin pas n’importe quel sexe.

 

 

 

 

Le sexe gay, pour être précis. Ce sexe démoniaque et sodomite, l’ultime et le seul capable de transmuter une mignonnette petite chérie de l’Amérique toute trognon avec ses yeux de biche, en furie possédée, convulsive et enragée avec le regard déterminé d’une tueuse affamée. Voici l’histoire de cette ravissante brune qui jusque-là se contentait de chanter mièvrement l’amour et de vendre du jus d’orange industriel dans des spots tv.

 

 

Homosexualité à Miami, petit résumé

Tout commence à Miami. Si la vie gay nocturne s’y développe dès les années 30, la ville ne reste pas moins aussi homophobe que le reste des États-Unis. De nombreux établissements gays sont fermés au moindre motif futile et l’homosexualité, comme le travestissement sont interdits et réprimés par la municipalité. L’image des homosexuels évolue cependant avec la libéralisation des mœurs durant les années 1960. Un militantisme gay plus combatif bourgeonne également à la suite des émeutes New-yorkaises de Stonewall en 1969.


 

 

Un tournant se produit alors en 1974. Après un raid policier contre son sauna, le Club Baths, Jack Campbell, le propriétaire, parvient à faire libérer tous ses clients et porte même plainte contre le Département de Police de Miami, qui doit finalement lui présenter ses excuses. La presse locale relaie l’événement et se montre presque bienveillante.

 

 

C’est dans ce contexte charitable devenu mielleusement progressiste et donc en apparence presque favorable que Ruth Shack, une conseillère démocrate et militante propose en décembre 1976 une bombe. Un projet d’interdiction des discriminations à l’embauche, au logement et à l’accès aux services publics des homosexuels. À deux semaines de Noël !

 

 

Des communautés religieuses toutes pantoises

 

 

Dans un premier temps, en état de sidération, les diverses communautés religieuses de Miami sont restées coites. Et puis il y avait Noël qui arrivait, naissance du petit jésus et tout, et tout…. Mais tout de même, ce projet d’interdiction des discriminations à destination des sodomites, cela ne semblait pas sérieux. Une blague peut-être ?

Bien sûr, ce projet était portée par cette nouvelle élue à surveiller du coin de l’œil : Ruth Shack, une démocrate ! 

 

Pire, une enseignante en sociologie et sciences politiques à l’université internationale de Floride qui ne s’exprime qu’avec des gros mots comme humanisme, droit de l’homme, allant jusqu’à en inventer de nouveau comme orientation sexuelle…

 

 

 

Une fois la nouvelle année 1977 célébrée, de petites vaguelettes de protestation se manifestèrent quand même. Au cas où. Plusieurs églises locales, chacune dans leur coin, s’organisèrent en réunions de concertation intense pour définir ce qu’il fallait en penser, de ces abominations. Ruth Shack et le projet. On a débattu, prié, chanté et débattu à nouveau. On s’est rassuré. La bible étant de leur côté, on était circonspect mais presque confiant.

 

 

Jusqu’au 18 janvier 1977. Date à laquelle le projet fut proposé en première lecture, débattu là aussi, enfin un peu plus rapidement puisqu’il fut adopté dès le premier tour et à l’unanimité ! Avant même la prière du soir, en une journée, l’affaire était pliée. Les sodomites devenaient des gens à orientation sexuelle et ça leur donnait des droits ! Le soutien de la bible n’avait apparemment pas suffit.

 

 

Le réveil d’Anita

À 36 ans, Anita Bryant la chanteuse populaire et vendeuse de jus d’orange est au départ très assez éloignée de tout ce remue-ménage. Membre investie de la Northwest Baptist Church où elle chante régulièrement, la proposition de ce projet d’interdiction à destination des homosexuels ne la tracasse guère, ne sachant pas clairement ce qu’était un homosexuel, ni certainement ce que sexuel pouvait signifier d’autre que la nuit de noce et la procréation de ces quatre enfants.

 

 

Fort heureusement, dans un but purement instructif et formateur, il s’est trouvé qu’un membre de sa paroisse possédait, en dehors de la bible et autres livres pieux, toute une panoplie de photographies explicitement écœurantes d’actes sodomites quasi rituels, en tout les cas ouvertement démoniaques. Il en possédait même avec des enfants ! De plus, il était officier de police. Or il faut toujours croire en la police, surtout à l’église. D’un raccourci à l’autre, Anita Bryant fut convaincue. Le projet voulait légaliser la pédophilie ! Enfin pas tout de suite mais juste après.

 

 

Voici comment au soir de ce 17 janvier devenu aussitôt prophétique à l’annonce de l’adoption de cet adoubement civil du vice et du malin, plus de trente professionnels politiques conservateurs et ministres de diverses confessions se réunirent illico au domicile de Bryant et de son mari pour discuter d’un plan pour tuer le ver de cette nouvelle réglementation dans son œuf impur et ainsi sauver la pomme, le monde et la Vie.

 

 

La croisade consistera en l’obtention d’au moins 10 000 signatures sur une pétition visant à forcer les institutions à suspendre le projet et à le soumettre à un référendum. Bien sûr il faudrait en passer par les médias et populariser la cause, peut-être même au delà de l’État ! Anita la chanteuse vendeuse de jus d’orange devenait sans délai La Madone. Le soir même, la voici propulsée présidente d’un mouvement dont le nom fut rapidement approuvé par tous telle une révélation : Save Our Children ! Le reste, comme le disent les américains, is History.

 

 

Une furie en action

 

Dire que les gays ont eu droit à tout serait en dessous de la vérité. Disons qu’Anita Bryant s’est enflammée très vite, très haut et très fort. “Si on donne des droits aux gays, il faudra ensuite donner des droits aux prostituées, à ceux qui couchent avec des saint-bernards et à ceux qui se rongent les ongles” fut l’une de ses premières justifications avancée en interview pour prouver l’évidente légitimité de son combat. 

 

 

 

 

 

 

 

Aussitôt alléchés par la potentiel hautement inflammable de ses arguments, les médias locaux secouent les braises et se mettent à publier quantité d’articles relayant sans filtre toute éructation émanant d’une Anita Bryant devenue pyromane, de ses concepts d’homosexualité liée au proxénétisme à ses mises en garde face aux abus sexuels sur mineurs et autres dangers pour les jeunes garçons laissés sans surveillance.

 

 

 

 

 

À cette époque, quantité de gay de Floride vit encore dans le placard, et malgré le soutien de mouvements homosexuels d’autres États, la communauté LGBT de Miami peine à organiser la contre-attaque. La madone de Save Our Children ne rencontre donc que peu de résistance et son “combat” gagne en notoriété à l’échelle nationale comme une traînée de poudre.

 

 

En à peine six semaines de campagne, la pétition organisée obtient 64 000 signatures et la commission du comté est contrainte de programmer un référendum local. Ce fut alors l’apothéose. Save Our Children produit un spot publicitaire pour éclairer les électeurs sur l’instauration du “foyer de l’homosexualité” qui les guette : des hommes en cuir s’embrassant, des lesbiennes seins nus et des Drag Queen, dansant à chaque coin de rue. N’est-ce pas déjà la vie telle qu’elle est à San Francisco ?

 

 

Dans le même temps, le mouvement s’achète des pleines pages publicitaires montrant un empilement de gros titres dénonçant des professeurs entretenant des liaisons avec leurs élèves, des réseaux de prostitution infantile et l’implication d’homosexuels dans des organisations travaillant avec des jeunes. De son côté, Bryant ne perd pas son temps. Elle court les émissions tv et radio chrétiennes du pays où elle prêche des heures durant, infatigablement.

 

 

 

Les médias plus généralistes et la presse nationale s’intéresse alors à sa campagne et couvrent ses actions semaines après semaines. Anita Bryant les abreuvent goulûment de ses théories personnelles : “Si les homosexuels sont autorisés à modifier la loi en leur faveur, pourquoi les prostituées, les voleurs ou les assassins ne pourraient-ils pas en faire autant ? ” ou encore “Corrompre nos enfants n’est pas un droit humain.” !

 

 

 

 

 

Voilà brièvement résumées les conditions dans lesquelles le référendum contre le projet devenu l’ordonnance 77-4 aboutit à une victoire éclatante de Save Our Children, le 7 juin 1977. Avec plus de 70 % des voix en leur faveur, Anita Bryant et ses partisans obtiennent d’ailleurs la plus large victoire électorale de toute l’histoire du comté.

 

 

 

 

 

 

Aussitôt inspirés, d’autres mouvements organisent des campagnes similaires dans tous les États-Unis. À elle toute seule, Anita Bryant la chanteuse Folk vendeuse de jus d’orange a réveillé le feu sacré des religieux, des conservateurs et des suprémacistes. Pour eux, une sainte est née.

 

 

 

 

L’essor d’un nouveau militantisme gay

 

Côté homosexuel, le choc est violent. Les agressions homophobes se multiplient. Les violences matérielles précèdent les violences physiques et les licenciements pour homosexualité grimpent en flèche. Deux semaines après la victoire de Save Our Children, un jardinier municipal de San Francisco est battu à mort par quatre hommes qui le traitent de PD. L’émotion dans le pays est immense.

 

 

 

Plusieurs cas de suicide sont répertoriés et sont rattachés à la virulence de la campagne anti-homosexuels. Interrogée par la presse, Anita Bryant reste sereine, voire surprise : “Cela me rend triste et me choque que quelqu’un puisse penser que j’ai quelque chose à voir avec tout ça, mais ma conscience est tranquille. Je ne peux pas être tenue pour responsable pour la façon dont les gens réagissent à ce qui s’est passé dans le comté de Dade. Mon combat n’a pas été motivé par l’homophobie mais par mon amour “.

 

 

Les Gay prides qui suivent le référendum local voient la participation d’un plus grand nombre de manifestants que les années antérieures. À San Francisco, le militant Harvey Milk prend la tête des manifestants. 

 

 

 

 

Il galvanise la foule en lui disant : “Voilà le pouvoir de la communauté gay. Anita va créer une force gay nationale”. Pour la première fois, différentes organisations homosexuelles s’associent. Jusque-là, tout les divisait : les moyens d’action, le concept de visibilité, le rapport avec l’hétérosexualité, la pratique de la sexualité même…

 

 

 

 

L’Histoire des mouvements Gay aux USA démarre un nouveau chapitre en cette année 1977. Avoir vu, lu ou entendu des semaines durant des excités anonymes interrogés sur la question proposer le plus sérieusement du monde que les homosexuels soient déportés, emprisonnés dans des camps de concentrations ou exécutés, a rapproché des mouvements qui ne se parlaient pas depuis des années en quelques mois.

 

 

 

 

L’événement fut fondateur au même titre que les émeutes de Stonewall huit ans plus tôt. Il aboutit à une mobilisation sans précédent des gays et des lesbiennes qui luttent désormais main dans la main. Une communauté LGBT qui apprend à s’organiser, en attendant le drame des années SIDA.

 

 

Anita, le retour de flamme

Cette unification des différents mouvements LGBT à l’échelle du pays n’a pas permis de revenir sur la victoire de Save our Children et il faudra attendre 1998 pour que la Floride rétablisse l’ordonnance rendant illégale les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle. La croisade d’Anita Bryant aura différer de 20 ans une protection qui avait été votée comme une lettre à la poste dès 1977.

 

 

 

 

Pour les LGBT Américains, une sorcière venait de naître. Harvey Milk parla de pouvoir Gay, Anita Bryant eut toute sa vie pour en mesurer son étendu. L’homosexualité ayant toujours été présente dans tous les milieux sociaux, son acceptation par l’entourage accrût considérablement le nombre de voix désireuse de rejoindre les gays et défendre la cause. Des humoristes et des présentateurs célèbres comme Jimmy Carson du Tonight Show firent d’Anita Bryant une cible et un objet de moquerie, transformant la Madone en bouffonne aux yeux du public.

 

 

Le chanteur Country David Allan Coe réputé sexiste et macho signa le tube 1978 Fuck Anita Bryant. La compagnie de jus d’orange pour laquelle elle faisait des spot de pub depuis 1969 mit fin à son contrat. L’appel au boycott national de ses produits faisait mauvais genre. Surtout qu’il était suivi par celles que l’on attendait pas, les mères de famille ! Apparemment les gays ne viendraient pas de nulle part !

 

 

 

Même le mouvement Save Our Children fut impacté et dû se rebaptiser rapidement, sous la contrainte. Une autre association plus ancienne portant un nom similaire l’attaqua et gagna en justice car elle refusait d’être associé à leur campagne homophobe délétère. C’est cependant dans la rue que la chanteuse rencontre une opposition radicale, voire physique à laquelle elle ne s’attendait pas.

 

 

Des sifflets, des huées et autres manifestations bruyantes à chacun de ses déplacement étaient déjà douloureux mais lorsqu’à Hutington, le Ku Klux Klan se présenta à son concert pour la protéger, outre la publicité ravageuse pour une chanteuse de l’amour, difficile de ne pas comprendre que pour le reste du monde, son besoin de retour à la vie d’avant s’annonçait saugrenu.

 

 

Les maisons de disque la fuient, les contrats s’annulent en cascade et les salles de concert la boycotte. La suite est à l’avenant : divorce en 80, image publique “gênante” dans le show business, tour de chant dans des campings de seconde, puis de troisième zone, revenus en fonte libre, vente de biens immobiliers et déclaration aux fichier des banqueroutes en 1998.

 

 

Aujourd’hui encore, la Madone pyromane qui avait mis le feu au pays est carbonisée. Sa carrière a été éteinte ! Et ce ne fut pas progressif. En octobre 1977, lors d’une apparition télévisée à Des Moines dans l’Iowa, tandis qu’elle affirmait à plusieurs reprises devant des journalistes incrédules qu’elle “aimait les personnes homosexuelles, mais détestait [seulement] leur péché”, Anita Bryant fut entartée en direct par un activiste Gay.

 

 

 

 

Elle tenta de sauver la face en déclarant “Au moins, c’est une tarte aux fruits”. Inconsciente encore que la photo prise d’elle ce moment là resterait, encore aujourd’hui, une photo culte aux États-Unis. La photo qui efface toutes les autres, celle qui vient à l’esprit quand on pense à Anita Bryant. En somme, dès octobre 1977, la messe était déjà dite.

 

 

Une petite pub pour la route…

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