Je m’appelle Kevin mais je pourrais m’appeler Ismaël, Mehdi, Lars, Mathieu ou Enrique. Je suis d’ici et de partout à la fois. Je sors de nulle part, ou de pas grand chose. Je suis souriant et triste. Exubérant et timide. Je me sens trop souvent seul et pourtant je suis tellement souvent trop entouré.
J’ai vu le jour au beau milieu d’un carcan religieux rétrograde, je suis arrivé tel un cheveu dans la soupe populaire d’une pauvre mère en plein désarrois social. Je suis le fils héritier attendu comme le futur géniteur de la lignée, et parfois aussi je suis la preuve vivante d’une infidélité qui fera des ravages. Je peut être l’enfant tant espéré comme je peux être le sale bébé qu’on n’a pas pu avorter. Je suis né dans un monde, un milieu, un contexte. Et dès ma naissance, j’étais unique. J’étais déjà différent.
Hans Christian Andersen était différent lui aussi. D’abord il était moche, vraiment. Né dans la fange d’Odense dans le froid Danemark, il était homosexuel à une époque où c’était très loin d’être fun.
Petit et solitaire, pour ne pas dire rejeté ou exclu de lui-même de ses petits contemporains, il s’évadait en jouant à la poupée et en s’inventant des vies. Hans était un gosse solitaire et moche, pauvre, gay et efféminé qui vivait dans le froid. Mais il savait écrire, conter, transformer par les mots. L’histoire ne dira jamais si petit il virevoltait et chantait comme « La reine des neiges » qu’il écrira en 1844, ou s’il gloussait en pataugeant dans son bain telle « La petite sirène » qu’il écrivit plus tôt en 1837. En tous les cas avouons qu’il devait avoir un bon degré de folie. Suffisamment pour commencer sa dernière autobiographie, Mit Livs Eventyr (1855) par ses mots assez révélateurs du garçon : « Ma vie est un beau conte de fée, riche et heureux ». Si son œuvre « Le vilain petit canard » (1842) qui se transforme en beau cygne majestueux est sa plus célèbre fiction, elle est également souvent considérée comme sa plus belle autobiographie imaginaire.
Qu’il s’appelle Enrique, Mathieu, Lars, Mehdi, Ismaël ou Kevin, chacun, d’où qu’il soit, sent bien au fond qu’il est aussi le vilain petit canard d’un milieu, d’un contexte, d’un monde.
La différence peut être belle et exceptionnelle. Elle est aussi pesante, étouffante, tuante. Le rêve, ou la rêverie sont des échappatoires utiles et précieux. Si en plus on sait chanter, ou danser, ou écrire, ou composer, ou même jouer la comédie… on peut rêver toute sa vie.
On peut créer sa Reine des Neiges et se projeter dans ses délires les plus fous. On écrit une balade larmoyante sur un beau prince de 18 ans aux yeux de velours, on écrit le roman des amours d’une diva de la pop ultra sexy mais au fond, incomprise. On réalise des documentaires sur des reines de légende. On crée des costumes plein de plumes et de froufrous pour des étoiles de cabarets. On fait plus facilement avec la tristesse du quotidien quand on peut développer ses propres rêveries et se donner à fond. Mais que se passe-t-il quand on n’a aucun talent créatif. Quand on chante comme une casserole. Quand on joue comme un manche ou quand on ne sait pas aligner trois mots sur une page. Que faire quand on sait rien faire du tout. Que dalle !
Le monde qui nous entoure est souvent bien triste pour un homosexuel qui grandit. Se savoir différent sans pouvoir l’exprimer en dehors de son chez soi est parfois une difficulté surhumaine supplémentaire pour certains. Le rêve ou la rêverie sont aussi des fuites en avant et la télé-réalité d’aujourd’hui regorge de jeunes gays prêts à tout pour être célèbres, quitte à fonder leur célébrité sur du vent. Tous se voient comme les beaux cygnes en devenir et s’épuisent de toutes leurs forces à tuer le souvenir des si vilains petits canards qu’ils ont été. Tous ces vilains petits canards qui parlent tous d’une même voix : je m’appelle Kevin, Ismaël, Mehdi, Lars, Mathieu ou Enrique. J’aimerais juste m’amuser un peu. J’ai vraiment souffert jusque là. Mon enfance, mon adolescence, ma solitude sont mes moteurs. Je sais que je n’oublierai jamais d’où je viens. Je connais pas trop grand chose et j’ai pas fait beaucoup d’études, mais je me suis quand même pris en main. J’ai un job même si je m’emmerde toujours autant dans ma vie. Je sais que je peux faire mieux, que je peux être mieux.
Je suis pas très littéraire donc je suis loin, bien loin de savoir que même le petit canard Hans Christian Anderson n’a pas finit sa vie en cygne majestueux, beau et gracieux. Il aura vécu son homosexualité par la masturbation, la plupart de ses contes auront une fin bien cruelle et sombre. Et lui même, bien qu’étant reconnu, n’en sera pas moins assez désargenté jusqu’à la fin de sa vie et il finira encore plus laid qu’avant.
You’d be surprised how many kings are only a queen with a moustache !
Je m’appelle Toby. Je vis aux States où je suis une star de la télé-réalité depuis que je suis apparu dans « botched » sur E ! network en 2014. Je suis une star qui a dépensé $100 000 en chirurgie pour ressembler à Justin Bieber. J’ai un petit ami, un job d’infirmier… mais depuis la télé, je chante et j’essaie de monter un groupe. En août 2015, mon petit ami me plaque. Je déprime. Je n’ai pas vraiment d’amis aux États-Unis.
Je suis seul et assez vite je redeviens le petit canard Tobias Strebel, petit allemand solitaire de Nuremberg qui a fuit son Allemagne natale pour vivre le rêve américain, loin des miens avec qui je ne communique d’ailleurs plus. Mais ces dernier temps, mes rêves ne suffisent plus. Mon petit ami m’a abandonné. J’ai des médicaments sur ma table de chevet. J’ai déjà subit des coup durs. Je sais affronter l’angoisse. Je sais faire face. Je vais me relever. J’ai déjà puisé dans mes ressources. Jusque là. Jusqu’à ce jour, fatidique. On me retrouve fin août 2015. Je suis dans une chambre de motel de San Fernando Valley en Californie. Je suis mort depuis plusieurs jours. J’ai 35 ans.
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