Le cinéma anglo-saxon nous a bien conditionné. Qu’un scénario soit tiré d’un bouquin ou pas, le premier baiser d’amouûur qui tue est immuable. Vous avez à peine commencé à regarder le film que vous visualisez déjà cette scène clé à venir. L’histoire est éternelle.
L’héroïne est une peste narcissique aussi chieuse qu’elle est conne (Scarlett O’hara), une bonniche très pauvre et tellement naïve que quoiqu’elle fasse, elle fait conne (Cendrillon), une successfull woman over-surbookée reine du business avant tout, et reine des connes juste après (Working Girl). Il y a aussi la cérébrale, renfermée, brillante, bavarde et experte devant un bouquin, qui se révèle frigide, muette et conne devant un pieu (toutes les héroïnes de Jane Austen).
L’ultime étant la bimbo assoiffée de fric, qui pour le coup se contente juste de n’être qu’une belle conne, et c’est déjà pas mal (Julia Robert – Pretty Woman). Arrive alors avec force musique, génie du scénario et de la mise en scène, non pas l’Homme, le Mâle ou le Sauveur mais les trois à la fois, d’emblée et d’un coup, sous la forme du plus beau, du plus cooooool et du plus craquant de tous les princes du monde et de la galaxie. Souvent, vous remarquerez, ses yeux pétillent.
L’héroïne en a son regard tout happé (Barbra Streisand – Nos plus belles années). Elle est bouche bée, la seule fois du film vous remarquerez aussi.
Se retrouvant donc mise brutalement et contre son gré, nez à nez devant l’amouûur véritaââââble, le certifié vrai qui vous chavire et vous emporte plus loin que loin, l’héroïne est choquée.
Elle se reprend, se débat, se rebelle, refuse, rejette, regrette, voudrait bien, mais non, l’héroïne ne puit, pas comme ça, surtout pas maintenant, c’est jamais le moment, et surtout pas avec ce beau prince tout parfait, tout canon tout rempli de toutes ces innombrables qualités surhumaines qu’elle jurait pourtant rechercher désespérément tout partout et tout autour depuis le début du film, surtout pas lui, en tout cas pas un comme lui, et surtout pas elle, pourquoi elle ??? L’héroïne réfléchit.
Telle Sissy face à son destin, elle reprend alors vie et prend d’ailleurs assez rapidement conscience que sa vie, toute cette vie qui depuis le début du film la comblait, la rassasiait, et ben en fait, c’était que de la merde ! De la merde en attendant, mais de la merde quand même. De la merde en attendant bien sûr qu’un bellâtre s’interpose, l’enlève et la fasse planer au dessus de toute cette boue, en lui écarquillant bien grands les yeux (Jasmine – Aladdin). Ça pique un peu les pupilles au début, mais le jardin dévoilé et offert par le beau prince en vaut vraiment la peine. L’héroïne se sent exister, revivre. Mais elle n’est pas encore conquise. Une femme est une fleur, une rose pimpante mais piquante.
Une fois ses yeux grands ouverts, l’héroïne doute, teste, hésite et passera par tous les stades émotionnels possibles, et il y en a des tas, jusqu’à cette scène clé, cet instant T du film, ce climax où après les cris, les larmes, les rires, plus d’échappatoire, il faut qu’elle cède et qu’elle comprenne, qu’elle succombe à son prince dans un langoureux baiser aussi chaste que mielleux. Alors, telle Blanche Neige cueillie comme une rose et emmenée vers son destin de princesse d’un baiser majestueux dans les bras de son prince qui la porte sur le chemin du bonheur, la belle s’abandonne, consciente d’être enfin en route pour l’extase, ou pour quelque part dans les environs. Une belle route qui malheureusement ne durera seulement qu’un bref mini quart d’heure, jusqu’au virage, jusqu’à l’inévitable rebondissement où le prince merde et flingue tout, l’autre scène clé du film, quand l’héroïne crise.
Les films gays qui reposent sur la même scène clé du premier baiser qui tue sont légion, mais cette fois le héro est gay et il doit être tout mimi trognon.
Il est plus ou moins planqué dans un placard plus ou moins moelleux selon le tempérament, le niveau social ou l’époque, mais en lui, bien au fin fond de cette armure plus ou moins épaisse qui l’étouffe, sommeille une nymphette et bat un gros-gros cœur d’artichaut tout chaud. Oui, le héro gay d’un film gay typique doit être beau mais surtout il doit être cucul pralinou. Il est beau et riche, cultivé et rigide mais midinette et cucul pralinou comme une adolescente devant un Homme (Maurice).
Parfois, le héro gay est énigmatique. Il est alors tellement camouflé dans son rôle d’hétéro de composition qu’il en devient tout cucul pralinou et coincé du… de partout quand surgit l’amouûur véritââââaable. Cet amouûur qui met à jour son abris sous-terrain. L’amouûur qui entrouvre et illumine violemment le bunker dans lequel le héro gay se voyait comater jusqu’à les fin des temps (Heath Ledger – Brokeback Mountain).
D’autre fois, le héro gay est un vrai adolescent. Il est gentillet et plein d’humour, et il est aussi fier et entreprenant devant l’adversité qu’il sera cucul pralinou et gloussant jusqu’à suffoquer dès son premier baiser. Pas question de placard pour lui, sa sexualité naissante est d’ailleurs si voyante que le mignonnet est outé avant même le générique de début du film (Beautiful Thing). La raison d’être du héro gay mimi trognon cucul pralinou est que le spectateur doit pouvoir s’identifier. La question, si question il doit y avoir, est : pourquoi l’héroïne princesse doit être un peu conne quand le héro gay doit avant tout être un peu nouille ? N’étant pas sociologue ni chercheur, je laisse à d’autres la possibilité de dénouer cette insondable énigme. L’ultime point commun entre l’héroïne princesse et le héro gay restant la scène clé du film, celle du fameux premier Baiser avec le grand B.
Or, et c’est pas ma faute, il y a là cependant une légère petite différence, juste trois fois rien, à peine un contraste tout minime mais qui à quand même son importance dans la perception du conte de fée qu’on vous conte et qui fait qu’un héro gay ne fera jamais jamais jamais une bonne princesse qui envoie du rêve, jamais ! Même s’il met la robe. Assez souvent, peut être parce qu’un héro gay doit être plus pragmatique, plus éloigné du rêve, ou… enfin il arrive que le baiser d’amouûur soit purement et simplement remplacé par une bonne baise ! Une bonne grosse scène de baise brute bien bestiale. Et cramponnez vous, il n’y a parfois même pas de bisou ! On peut regarder encore et encore la première nuit sous la tente des personnages de Brokeback Mountain, aucune trace d’envolée de violon.
La scène du baiser en bon et due forme arrivera quand même mais plus tard, juste avant une deuxième scène, disons, d’intimité. Le premier baiser d’amouûur est évidement aussi présent dans Maurice. Il est très bien mis en scène d’ailleurs. Maurice reçoit la visite nocturne surprise du garde-chasse. L’ambiance est inquiétante. Le garde-chasse fait un peu délinquant et Maurice est en pyjama, autant dire à la merci du premier venu, presque en danger. Le garde-chasse hésite un peu en s’approchant de Maurice, c’est le moment suspens du film, il dure environ trois secondes et demi. Après une ou deux répliques parfaitement oubliables arrive le fameux baiser et hop… la baise. D’ailleurs Maurice était tout prêt dans son lit, comme Jake Gyllenhaal attendait Heath Ledger.
Pour ce qui est du film Beautiful Thing, personne ne peut dire si les deux adolescents couchent ensemble après leur premier baiser mais là encore, la première fois qu’ils s’embrassent, ils sont déjà au pieu, tout prêt. Et au réveil, on a clairement l’impression qu’ils se connaissent nettement mieux… En tout cas, une chose est certaine, le premier baiser gay existe bel et bien. S’il est obligatoire qu’il soit suivi ou précédé d’une bonne baise c’est parce que les deux réunis participent à la fusion.
Oui, les deux hommes entrent en fusion. Ils ne font plus qu’un. Cette fusion est indispensable, elle durera jusqu’à la fin du film, et même au delà. Elle est un prélude au nirvana absolu, celui où le monde extérieur n’existe plus. Si à la fin, le personnage joué par Heath Ledger ne doit se contenter que de quelques reliques à l’odeur de son cher et tendre, mort quelques temps avant, on peut tout de même dire que dorénavant, son beau prince lui appartient pour toujours, les deux hommes ne font désormais plus qu’un jusqu’à la fin des temps.
Pour le personnage joué par Heath Ledger, asocial et solitaire, le souvenir vénéré de son prince sans les complications serait presque l’idéal. Idem pour Maurice, qui finit par plaquer tout ce qu’il possède, sa condition comme son rang social, pour n’appartenir qu’à son prolo de prince. La fin du film, comme celle du livre, reste en suspens mais nul doute que Maurice et son tourtereau, enfin réunis et ne faisant plus qu’un, s’envolent amoureusement vers le bonheur absolu et qu’ils auront beaucoup d’enfants… (euh… oubliez la fin de cette phrase !).
Quant à l’ado gay de Beautiful thing, sa mère découvre qu’il est homo (ça sautait pourtant aux yeux depuis le début du film). Du coup elle pique une crise. Mais tout finit bien. L’ado et son amoureux pleurent de concert dans le salon en se tenant la main et le film se termine sur les mignons jouvenceaux dansant amoureusement sous les regards de tous devant l’immeuble social où il vivent. Enlacé l’un à l’autre, ils ne font plus qu’un et là encore la fin reste en suspens mais nul doute que la route pour le septième ciel apparaît comme étant bien dégagée, et après tout, n’est-ce pas ce que le spectateur espérait… ?
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