Quelques Unes de magazines qui firent sensation
Le triomphe du net
Aujourd’hui, et c’est d’autant plus vrai pour les jeunes générations, la consommation de l’information se fait avant tout sur Internet. Que cette information soit valable ou pas est un autre débat. Cette tendance cependant confirme l’érosion inexorable de l’intérêt pour la presse papier… ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne nouvelle est que l’accès à l’information étant désormais dématérialisé, il est devenu plus accessible, voire impulsif. On peut lire ou on veut, ce qu’on veut comme on veut, si on veut.
La mauvaise, outre la lente agonie d’un système de presse et la fermeture de kiosques, c’est un peu la mort des couvertures de magazines et de leur impact sur le lectorat. Ces couvertures ont pourtant eu un rôle important dans l’histoire de l’homosexualité et de sa représentation.
Le mariage du siècle ?
Attention, toutes les couvertures ayant trait à l’homosexualité ne se valaient pas. Certaines ne traitaient du sujet qu’à leur corps défendant, comme la une estivale du Télé 7 Jours d’août 1985, avec la photo souriante et hilare de Yves Mourousi, tout ravi de présenter à la ménagère de moins de cinquante ans sa future épouse, Véronique. Une simple jouvencelle de dix-neuf ans sa cadette, dernière d’une fratrie de dix-sept enfants (vous avez bien lu) de la famille Audemart D’alençon, issue de la haute bourgeoisie.
Un mariage Nîmois qui se déroulera à l’Église, comme il se doit, et qui sera l’événement mondain de l’année, le marié ayant invité le tout-paris médiatique dans le sud-est ensoleillé pour l’occasion. A Nîmes, en plein cœur de ville, les jardins de la Fontaine sont privatisés. Le couple et le cortège y festoient sous une pluie de pétales de fleurs déversée directement sur eux du haut d’un hélicoptère affrété pour l’occasion.
Une grosse fête people avec paillettes et stars pour le champion du JT de 13h aux 10 à 15 millions de téléspectateurs quotidiens et de belles couvertures sur papier glacé à mettre évidement en parallèle avec le mariage de Coluche et Thierry Le Luron quelques mois plus tard.
Cette fois, il s’agit d’un grosse farce médiatique à laquelle prendront joyeusement part Carlos en bébé, Eddy Barclay en tenue de soirée et tout un cortège de travesti de chez Michou.
Si la couverture de télé 7 jours a marqué à l’époque, c’est qu’Yves Mourousi était connu du milieu gay parisien comme étant l’un des plus grand noceur de la décennie. Mourousi est un habitué du trio drogue, alcool et sexe et il mène, jusqu’à ce fameux mariage, une vie essentiellement homosexuelle dont il ne fait même pas grand secret dans sa vie professionnelle. Seul le grand public est tenu dans l’ignorance.
À une époque où les réseau sociaux n’existent même pas en rêve, ce mariage, relayé par toutes les télévisions et les Unes des magazines people, connaîtra un retentissement énorme. Pour beaucoup, cette Une de télé 7 jours signe l’apogée du foutage de gueule, quand la ménagère de moins de cinquante n’était pas uniquement une cible de choix marketing mais également une dinde à porte monnaie que l’on pouvait balader comme la dernière des connes.
Têtu, premier numéro : sortez !
En 1995, Jacques Chirac est élu président et François Mitterrand n’a plus qu’un an à vivre. Le pacs n’existe pas et l’avènement d’un mariage Gay n’est qu’une chimère, une idée vaine qui n’est encore que le produit de l’imagination de certains militants exaltés. L’époque est au SIDA, qui fait toujours des ravages.
La trithérapie n’en est qu’à ses balbutiements et Act up Paris, fondée six ans plus tôt par Didier Lestrade, Pascal Loubet et Luc Coulavin, est devenue l’association la plus activiste et la plus bruyante de toute la communauté homosexuelle.
La Gay Pride ne s’appelle pas encore la marche LGBTQI+. Elle se déroule à chaque fin du mois de juin, et depuis peu, prend de l’ampleur avec les années. Au point que les 20h des grandes chaînes s’habituent à parler davantage des revendications politiques que des tenues bigarrées et autres plumes sois-disant dans le cul des participants. Ce qui était la norme riante et dénigrante jusque-là. Pour faire bref, si parler de l’homosexualité reste encore discret dans la société des années 90, la visibilité de personnes homosexuelles se développe considérablement.
Elle se développe dans les talk-shows de Jean-Luc Delarue ou de Christophe Dechavanne, elle se voit au cinéma dans l’univers acidulé de Pedro Almodovar, mais également avec « Priscilla, folle du désert » de Stephan Elliott en 1994 ou le succès populaire en France de « Pédale Douce » de Gabriel Aghion en 1996. !
Et il ne faut pas oublier les séries américaines du type « Melrose Place » avec le personnage de Matt, gentil blondinet au cœur tendre à faire fondre la ménagère de moins de cinquante, devenue avec le temps l’ultime influenceuse, la prêtresse du comme il faut, celle qui tient la bourse, le caddie et la télécommande.
Or, c’est justement grâce à cette dernière qui l’inimaginable arriva : l’homosexuel mâle devint tendance ! C’est dans ce contexte, et à l’occasion de la « Gay Pride » de juin 1995 que paraît le premier numéro de Tétu. Une Une titrée « Sortez » comme un appel de la bonne fée Glinda à tous les petits Munchkins dans le film « Le magicien d’Oz ». « Sortez » comme une revendication en même temps qu’un constat, il semblerait que la veille sorcière appelée homophobie agoniserait. « Come out, come out, wherever you are » !
Des unes d’anthologies
Si l’on se tourne vers les États-Unis, quelques couvertures de magazines viennent aussitôt à l’esprit, et notamment celle du Time Magazine de septembre 1975. La photo de Leonard Matlovich y apparaît avec un titre sans ambiguïté : « I am a homosexual ». Matlovich est un vétéran de la guerre du Vietnam de 32 ans.
Distingué pour sa bravoure au combat à deux reprises par l’institution militaire américaine, il se retrouve pourtant éjecté de celle-ci comme un malpropre lors d’une audience administrative ce fameux mois de septembre 1975, lorsqu’un avocat de l’armée de l’air lui demande de signer un document où Matlovich s’engage à « ne plus jamais pratiquer l’homosexualité ».
Ayant refusé, il est viré séance tenante. Devenant de fait le premier militaire américain ouvertement gay. Son combat pour rester dans l’US Air Force donnera lieu à plusieurs articles et interviews. Sa photographie sur la couverture du magazine Time fera de lui un symbole. La première personne ouvertement homosexuelle à apparaître ainsi en couverture d’un grand magazine d’information à l’audience nationale et internationale.
Toujours aux États-Unis mais 22 ans plus tard, en 1997, le même magazine affiche en couverture la jeune actrice Ellen de Generes, 29 ans. Le titre, là encore, ne fait pas dans le double sens : « Yep, I’m gay ! ». Le numéro fait suite au coming out télévisé et retentissant de l’actrice sur le plateau d’Oprah Winfrey. Le premier coming out public d’une star du petit écran dont la série « Ellen » cartonne depuis déjà quatre ans. Une série produite par Disney et diffusée sur le très généraliste et familial réseau télévisé américain ABC.
Cette interview révélatrice sera un choc national, aussitôt suivi d’un second. Pour profiter du tsunami médiatique, ABC et Disney signent pour un épisode spécial où l’héroïne fera également son coming out dans la série, devenant ainsi le premier personnage lesbien de toute l’histoire du Prime-time américain. L’événement suscitera la colère des puritains, les appels au boycott, l’exigence du retrait illico presto du show devenu démoniaque, et d’innombrables menaces de mort provenant de fanatiques religieux.
L’épisode sera cependant le plus regardé de la série, environ 30 millions de téléspectateurs. Dans plusieurs grandes villes américaines, de nombreux groupes gay se réunirent pour regarder ensemble le fameux épisode comme pour un match du Super Bowl. Mais davantage que l’épisode en question, où même que la série dans son entier, voire du phénomène de société aux États-Unis, c’est la portée internationale du magazine Time et le catapultage d’une actrice Tv US en symbôle Lesbien mondial qui fera date.
Couvertures de la presse Gay et institutionnalisation
Les Unes à sensations sont nombreuses dans l’histoire de la représentation de l’homosexualité dans la presse grand public. J’aurais pu vous citer celle du magazine « Newsweek » racontant le sida de Rock Hudson en août 1985, à peine quelques semaines avant son décès. Mais il ne faut pas négliger l’importance qu’on pu avoir ces Unes dans le développement de la presse gay.
Des Unes comme un gage de sérieux et d’articles de fond. Des Unes qui lui permirent de s’officialiser et de se distinguer de la presse érotique ou pornographique. La couverture du Gai Pied de juin 1981 par exemple, avec François Mitterrand fraîchement élu, et avec pour titre phare cette grande question : 7 ans de bonheur ?
Celle également du magazine Gay « The Advocate » sur le coming out forcé de George Michael en 1998. Cette fois-ci, vous avez deux symboles pour le prix d’un. D’abord le magazine lui-même. Un « routard » de la presse Gay U.S dont le premier numéro remonte à 1967.
Une époque où avoir chez soi la télévision en couleur était le summum du cool et de la modernité. Une époque avant les émeutes de Stonewall, quand Judy Garland était encore en vie, du moins encore debout. Une époque où Georgios Kyriacos Panayiotou n’est encore qu’un bambin d’East Finchley, dans la grande banlieue londonienne. Il ne deviendra le beau George qu’une quinzaine d’années plus tard, lorsqu’il fait la connaissance du jeune chômeur Andrew Ridgeley tandis que lui galère en tant que DJ dans un resto.
Les deux fondent le groupe Wham et deviennent les beaux gosses de la pop anglaise dès leur premier tube : « Wake me up before you go-go » en 1984. Quelques années plus tard, le beau George est devenu sexy George. Petite barbe naissante, jean moulé, brushing et torse velu, George est Le méga beau mec de la pop pour toutes les gamines du monde et sûrement même au delà. Jusqu’en 1998, où sexy George se fait prendre « la main dans le sac » dans une pissotière à Los Angeles.
Cette Une de The Advocate est importante dans l’histoire de la presse homosexuelle car à y regarder de plus près, elle ne cherche pas le scandale, tout comme George Michael ne se livre pas à une interview confession tel un pénitent. Disons plutôt qu’il s’agit peut être de la première rencontre entre un magazine gay qui s’est complètement institutionnalisé et une grande star de la pop qui raconte son parcours de vie, dans toute sa plus simple vérité. Comme une actrice le ferait dans un périodique féminin.