En 1980, la France tombe sous le charme du joli minois de Sophie Marceau dans « La Boom ». L’histoire est pleine de rebondissements tout mimi comme tout. C’est celle d’une adolescente bien bourgeoise (Paris 5ème) et bien parisienne (quand elle sort de Paris, elle va à Deauville).
Sophie Marceau y joue le rôle de Vic, et Vic, c’est une petite coquine. Elle ne pense, ne rêve et ne vit que pour les booms et que pour les beaux garçons, bien bourgeois et bien parisiens. De beaux bourgeois parisiens qu’elle chasse comme une éperdue. La même année sort « La Chasse », justement (Cruising en V.O). Dans ce film, lui aussi de 1980, Al Pacino est un jeune flic hétéro infiltré dans le milieu SM gay New-yorkais. Deux homosexuels ont été retrouvés sauvagement assassinés et la police suspecte un tueur en série. Al Pacino enquête et pour cela plonge dans l’univers sombre et inquiétant du milieu cuir de l’époque.
Donc plein de rebondissements là encore mais plutôt sanglants et plutôt flippants. C’est aussi une chasse, dans un environnement qui pourrait d’ailleurs faire penser à une boom mais en un peu plus épicée et où tout le monde serait en cuir, où tout le monde serait aussi un poil plus coquin et un, voire deux, voire même trois poils plus enhardi que Vic et toutes ses copines réunies.
Mais laissons à présent Sophie Marceau à ses beaux garçons et à ses booms parisiennes pour nous pencher sur ces beaux garçons tout de cuir vêtus qui se déhanchent dans ces booms S.M New-yorkaises dans lesquelles s’infiltre Al Pacino pour y trouver le fameux tueur, l’autre héro du film.
Le héro du film, enfin en dehors de Al Pacino, je veux dire l’autre héro du film, c’est le fameux tueur en série. Celui qui chasse, qui cherche ses victimes dans les bars gays, celui qui est recherché par la police et celui qui se fera attrapé. « Cruising » est le titre original américain. « La chasse » est le titre en français, et pour une fois c’est une bonne traduction de l’esprit de « Cruising ».
Aujourd’hui le mot est bien connu et répandu dans le milieu gay mais à l’époque du film, on ne parlait en France que de lieux de drague et de plans cul. Les rencontres se faisaient en extérieur, dans des parcs, des fonds de ruelle bien sombres, des hangars bien désaffectés bien crades, ou sous les étoiles à l’orée d’un bois. En intérieur, il y avait les lieux commerciaux tels les bars, les saunas, les backrooms… En extérieur comme à l’intérieur, les gays draguaient. Une jolie façon de dire qu’ils cherchaient un plan cul. L’anonymat était la règle et il était crucial pour se sentir libéré du poids de la société et faire sa petite affaire avec un, ou deux, ou trois, ou même plusieurs inconnus au milieu de nulle part ou dans une étroite arrière pièce bien noire obscure, et toute noire de plein de monde ne se repérant qu’à tâtons. Toutes ces façons de « draguer » remontent à la nuit des temps et pourtant au XXIème siècle, force est de constater qu’elles n’ont pas changé d’un iota, elles existent et sont plus que jamais encore d’actualité aujourd’hui.
Sauf qu’aujourd’hui ça s’appelle « cruising ». C’est plus fun. Attention, cependant à ne pas vous méprendre, dans Cruising, il y a cruise et cruise veut aussi dire croisière. Certains d’entre nous peuvent défendre l’idée que d’aller s’enfoncer dans une backroom sombre et moite c’est comme embarquer pour une croisière où chaque port mérite son escale mais je doute que les croisiéristes à la Costa Croisière l’imaginent comme ça. Cruising, ça va aussi avec Facebook, avec Snapshat, avec Whatsapp. C’est American, ça fait Starbuck, ça fait moderne, ça fait connecté, en phase avec le wind du progrès à l’heure du web. Mais cruising a plus à voir avec la chasse qu’avec la drague, même connectée. Que l’on se tourne autour dans un parc, qu’on se repère entre les bosquets ou que l’on s’épie dans un sauna, on est chasseur plus que dragueur. On est chasseur mais on est aussi chassé, c’est justement ce qui rend le jeu plus excitant. A la fois prédateur en forêt qui s’approche de sa proie, l’apprivoise d’un regard et guette le moindre signe d’abandon, mais à la fois proie au même instant, quand cet autre vous surprend d’un sourire, cet autre que vous n’aviez pas vu venir alors que lui n’avait vu que vous. Cruising ou drague, le jeu est le même, il est simple, stimulant et surprenant. Il fait appel à l’instinct, à l’initiative comme à la ruse. Une backroom, un sauna, un parc, un bois ou un lieu de drague sont autant de terrains de jeu où, contrairement aux cours de foot en EPS au collège, tout le monde peut jouer, il suffit d’être gay. Attaquant comme défenseur ou gardien du but, tous les postes à la fois si on aime ça.
Malheureusement, la chasse n’est pas toujours qu’une boom à ciel ouvert et c’est justement en allant jouer au chat et à la souris sur un lieu de drague que certains y ont trouver la mort. En Picardie, Bernard Bernier, 62 ans était un homme gay comme il en existe encore des tas, quoi qu’on en dise. Pas de vie nocturne extravertie en boîte de nuit. Pas de pèlerinages réguliers dans le marais. Ouvrier retraité vivant près de sa mère, très âgée vous l’aurez deviné.
Bernard Bernier n’était pas ce que l’on appellerait un homo fashion. Pas de sexualité débordante à l’âge adulte. Pas de vie exclusivement ghetto gay dès 18 ans. Pas de coming-out à 12. Ni plus tard d’ailleurs. Cela semble inconcevable quand on vit comme d’autres dans un magazine Têtu, ou Garçon. Il n’était pas non plus du type connecté, en phase avec le wind du progrès à l’heure du web. Asexué pour sa famille comme pour ses collègues d’usine, il ne vivait sa sexualité que sur son lieu de drague favori, à Saint Quentin où il s’est rendu une dernière fois le 5 août 2012, aux alentours de 21 heures. Ce lieu de drague est près de la gare. C’est un lieu très connu dans la région. Suffisamment pour que trois branleurs le connaissent et y partent en chasse pour y détrousser du PD. Bernard Bernier sera leur proie. Il sera roué de coup pour ses clés de voiture, une carte bleue et son code secret. Il sera retrouvé le lendemain, sur place et dans le coma. Coma dont il ne se relèvera pas. Son agonie durera huit longs mois.
Les lieux de drague homosexuels ont toujours eu ce côté dangereux. Les descentes de police au milieu de la nuit, la chasse aux ébats contre-natures dans les sanisettes publiques, les torches dans les bosquets pour y débusquer de la pédale, le panier à salade humiliant et le fichage des invertis au commissariat du coin. Ces traques étaient courantes et pourtant elles étaient presque moins redoutées que les descentes de casseurs de PD qui, souvent bien ivres et juste pour tromper l’ennui, pourchassaient de la tafiole à plusieurs pour la piéger dans un recoin comme on braconne une bête rare et curieuse dans la jungle ou comme on chope la quille à 100 points au lancé d’anneaux à la fête foraine. La chasse à l’homme pour le fun. Aujourd’hui la police est de notre côté et la violence envers les gays a diminué à mesure que l’homosexualité était acceptée davantage. Mais cette violence existe encore et un lieu de drague reste un endroit à découvert, aussi risqué qu’il est isolé.
L’arrivée de la drague par réseaux téléphoniques offrit une plus grande sécurité. On se rencontrait en ligne et on se fixait un rendez-vous. De nos jours Cruising va avec Grindr, avec Hornet ou Scruff.
La drague par réseaux téléphoniques gay évolua et combinée à la drague sur minitel (36 15 Gay, par exemple) elle donna naissance avec l’arrivée d’internet à des applications pour smartphone où on peut choisir un mec de chez soi comme on commande une livraison de sushis un dimanche de pluie.
Ces applications correspondent à notre époque, la drague est toujours une chasse mais au moins on ne bouge de son canapé que lorsque l’on a pécho. L’avantage d’internet, c’est que l’on peut planifier sa rencontre confortablement, de chez soi.
C’est sûrement ce qu’a dû penser ce quarantenaire dans l’Isère. Motivé par un plan S.M orchestré sur internet, il devait retrouver un partenaire cagoulé dans les bois pour un moment intense. Il finira attaché, nu et détroussé. Ce sont des passants qui donneront l’alerte.
Cette histoire prêterait à sourire si parfois les rencontres par le biais d’applications internet ne tournaient au drame. Un cuisinier britannique dont le plaisir ultime était d’avoir des relations sexuelles avec un jeune homme inconscient en leur faisant prendre du GHB violera ainsi une douzaine d’hommes et en tuera quatre par empoisonnement. Il déposera leurs corps dans un cimetière ou près d’une benne à ordures.
Cruising, le film, pour en revenir et terminer avec lui, fit un énorme scandale dès sa sortie. Les milieux gays hurlèrent à l’homophobie et à la représentation malsaine de l’homosexualité.
Pourtant ce film a une approche quasi documentaire du milieu qu’il représente. Tous les codes, tous les signes sont là. Certains sont les signes et les codes spécifiques des milieux SM, mais d’autres sont surtout et avant tout des signes et des codes gays, quel que soit le milieu ou l’endroit. La drague, le sexe rapide et sans état d’âme. Le rut viril et l’insouciance masculine à l’état pur. Dans ce film, il y a les regards. On se jauge, on se toise, on s’évalue. On s’offre mais en même temps on achète sur pièce. Attention quand même, on offre pas une discussion, on achète pas non plus de la conversation. Les regards sont éclairés mais les cerveaux sommeillent, c’est la queue qui pense.
Que ce soit vêtu de cuir dans un bar SM, à poil sous une serviette dans un sauna ou en jean basket au milieu d’un bois au milieu de la nuit, le monde gay est peuplé de petites Vic en chasse. Chaque lieu est une boom et y débusquer son beau garçon, même pour une heure, fait frémir toutes les sortes de Vic qui composent ce monde gay, même les rasés en mode skin et piercés de partout. On baisse sa garde et on n’imagine pas une seconde le pire. L’excitation prime sur le danger. L’instant est roi, seule compte la prise.
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