Un poète victime du qu’en-dira-t-on et des bonnes mœurs

L’homosexualité étouffée d’un poète

 

« La mauvaise langue n’est jamais à court d’inventions » faisait dire Federico García Lorca au personnage central de sa pièce « La Maison de Barnarda Alba » en 1936. À peine quelques mois plus tard, il se faisait fusillé par des rebelles anti-républicains, au tout début de la guerre d’Espagne (1936-1939). Comme souvent chez les artistes, l’inspiration trouve sa source dans la vie réelle. Et la vie réelle de Federico García Lorca est un concentré d’homophobie intégrée et d’adaptations à la morale catholique dans une société corsetée entre rumeurs et la peur des on-dit.

 

 

 

« La mauvaise langue » le repère dès son enfance, qu’il passe entouré de femmes, de sa mère à sa grand-mère en passant par ses nourrices ou encore ses tantes. Une enfance à la santé fragile, tournée vers le solfège, la musique et les poèmes. Un enfant moqué, doué pourtant d’une sensibilité littéraire hors du commun. L’opposé de ce que la bonne société andalouse d’alors considère comme une voie à suivre pour un premier-né de propriétaire terrien aisé.

 

Ce sera la même peur du qu’en-dira-t-on qui l’orienteront vers la dépression dès l’adolescence. À mesure que son homosexualité devient pour lui évidente, tout comme l’évidence que sa famille attend de lui un mariage, dans cette Espagne très pieuse. Pour ses biographes, son œuvre et la vision « Lorquienne » qui s’en dégage transpire l’homosexualité inassouvie.

 

Ses années madrilènes, où il rencontrera ses premiers succès, lui apporteront ses premières relations. Mais également sa plus grande désillusion. Un amour passionné mais en aucun cas réciproque pour Salvador Dalí. Lorca se retrouve amoureux d’un hétéro, plus la peur de se déclarer, un mal être grandissant, et le vide, pour finir, avec cette homosexualité en bandoulière, comme un poids.

 

 

 

Une homosexualité omniprésente, insidieusement, jusque dans sa gestuelle, qu’il contrôlait, par peur de paraître efféminé. Dalí lui avait donné comme surnom « Le chien andalou ». Un surnom moqueur. Il donnera ce titre à son premier court-métrage surréaliste en 1929. Une blessure supplémentaire pour Lorca.

 

 

 

 

 

La vie du poète se termine violemment. La guerre d’Espagne et la montée du Franquisme feront de sa personne le profil type du traître à la convenance pour l’extrême droite. Poète, écrivain de théâtre, porte-voix littéraire des paysans andalous.

  

 

Pour les bourreaux qui le capturent le 16 août 1936, son « travail » et ses « opinions » sont autant de farces à éliminer d’urgence. Son homosexualité, largement présumée, est une provocation. Elle mérite bien douze balles dans la peau, ne serait-ce que pour la vertu et la morale catholique.

Le 19 août, Federico García Lorca est fusillé comme un chien. « Je lui ai tiré deux balles dans le cul parce qu’il était pédé” aurait dit Juan Luis Trescastro, l’un de ses bourreaux et le principal instigateur de son arrestation (selon Ian Gibson, biographe du poète).

 

Après sa mort, l’œuvre de Lorca sera interdite par le régime de Franco car contraire « aux bonnes mœurs ». Après la fin de la censure, en 1953, pendant des années, les frères et sœurs du poète s’opposeront farouchement à toute allusion à l’homosexualité de leur frère, devenu un symbole.

 

 

Contrevenir à cette interdiction tacite signifiait se fermer définitivement la porte aux archives et aux confidences de toute la famille. La peur du qu’en-dira-t-on fut longtemps efficace. « La mauvaise langue n’est jamais à court d’inventions » disait Federico.

En 1936, donc. Peu de temps avant de finir fusillé, Federico García Lorca écrivait « La Maison de Barnarda Alba ». Une pièce offrant un concentré étouffant de désirs bridés, de tensions sexuelles et d’abstinence imposée dans un huis-clos entièrement féminin sur fond de règles strictes, dictées par la morale sociale et la foi.

 

 

Une pièce avec une seule et unique leçon à retenir. Au final, le désir s’impose, toujours. Il oblige à la transgression, et mène au sacrifice. Je vous ai fait ci-dessous un petit résumé maison de la pièce. Libre à vous d’y voir les allusions que vous voudrez au poids de la société, au pouvoir étouffant d’une mère et à l’homosexualité contrariée.

 

Une matriarche fanatique et bien pensante. L’enfermement et la mort comme dénouement

Bernarda Alba est une vieille femme andalouse des années trente. Elle est austère, pieuse et surtout très soucieuse de l’ordre moral, des traditions et du qu’en-dira-t-on. Elle est donc tout sauf une rigolote. À la mort de son second mari, sans rigoler, elle impose le noir de haut en bas à ses cinq filles, âgées de 20 à 39 ans ! Impitoyable avec les conventions, autant que volontaire et déterminée pour le sacrifice pourvu qu’il soit religieux, elle impose également à ses filles un deuil de huit ans, assortit d’un isolement complet. Huit ans de placard, en quelque sorte.

 

 

 

Cette réclusion éminemment monacale est surtout recommandée pour être bien vu par l’Église, le bourg et ses bonnes âmes ainsi que par toutes les langues de vipère du village et de ses alentours, jusqu’au fin fond des champs, par delà les fermes les plus isolées. Ce confinement forcé et imposé à ses filles par une matriarche aigrie annonce une intrigue étouffante. Le dénouement sera tragique.

 

 

 

Dans ce huis clos se réveilleront vieilles rancœurs et jalousies recuites. Entre belles et moches, vieilles filles et jeunes impudentes sous le regard d’une mère obsédée par les conventions jusqu’à la sottise, les cinq sœurs macèrent. Un projet de mariage avec un beau jeune homme, mis en suspens par les funérailles, revient à l’ordre du jour.

 

Un beau jeune homme qui n’est jamais présent physiquement dans la pièce, mais un beau jeune homme qui est âprement disputé comme un bout de viande entre une sœur riche (héritière) mais moche et une jeune sœur sans dot mais belle et rebelle. 

 

 

 

Un beau jeune homme qui est surtout une promesse de sortie autant qu’une promesse charnelle. Autour des deux sœurs qui le convoitent, trois autres sœurs, toutes commères. L’une égoïste, l’autre soumise, la dernière frustrée, et bien sûr, la mama Bernarda, rigide comme une croix, tyrannique et dominatrice.

 

Entre quiproquos, mensonges et tensions exacerbées, Bernarda finit par péter un plomb (le dernier qui lui restait ?), elle sort et course avec un pistolet le beau jeune homme venu courageusement faire sa cour. Coup de feu à l’extérieur, cris à l’intérieur. Le beau jeune homme est-il mort ? La promesse de mariage et le plaisir charnel avec ! Comme la promesse de se sortir de là !

 

Mama Bernarda prétend que oui. Une sœur assure que non. Une deuxième jure que si. Une autre prétend l’avoir entendu s’enfuir. Ce qui est la cas.

Sauf que la jeune belle et rebelle, amoureuse transie qu’elle était, s’est réfugiée dans une chambre.

 

Violemment secouée par ce qu’elle croit être la mort de son bien-aimé, ou de son ticket de sortie, ou de son avenir charnel… pour faire court, comprenant l’étendu du vide que lui promet la vie, comprenant surtout l’inutilité du rêve devant l’absence ou la condamnation de toute porte de sortie, la jouvencelle s’est enfermée, et s’est pendue !

 

Mama Bernarda est choquée. Un deuil de plus. Elle pleure même un peu. Mais comme l’aurait dit Shakespeare, « tout est bien qui finit bien », la matriarche sait que l’honneur de la famille est sauf. Sa belle et rebelle de fille est morte vierge ! « La mauvaise langue n’est jamais à court d’inventions ».

 

3 Replies to “Federico García Lorca, la mauvaise langue et l’homophobie”

  1. pas… joyeux !! … son histoire … snif … mais son oeuvre le rend immortel, je me souviens qu’à l’école élémentaire, on nous a fait apprendre un de ses poèmes par coeur !!

  2. Est-ce que Trescastro a vraiment fait ce qu’il dit ou est-ce qu’il se vante ?
    En tout cas, il a laissé fuiter son propre désir homosexuel.

    1. C’est ce que le biographe de Lorca, Ian Gibson dit. Pour ce qui est de son propre désir homosexuel, j’avoue que ça ne m’était pas venu à l’esprit.

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