Méfiez-vous des photographes professionnels qui vous assurent que la technique ne fait pas tout

La photographie, tout le monde peut le faire !

Henri Cartier-Bresson

 

 

Vous aimez les photographies de beaux garçons ? Ou plutôt devrais-je vous demander : Vous aimeriez vous-même faire de belle photographies avec de beaux garçons dedans ? Ben… qu’attendez-vous alors ? Rien n’est plus facile ! Henri Cartier-Bresson, pour citer un photographe de légende, avait résumé en une phrase la banalité extrême du procédé artistique et enfantin qu’est la prise de vue. Il disait : « Vous n’avez qu’à vivre et la vie vous donnera des images ». Vous voyez ! Suffit de flâner, un appareil photo en bandoulière.

 

Henri Cartier-Bresson – Naples – 1960

 

Quand au détour du coin d’une rue, en pleine ville comme au milieu de nulle part, un beau gosse prêt à poser vous apparaîtra, il vous suffira de dégainer votre appareil, toujours en veille, et de saisir cet instant pour l’éternité. Tout simplement. Contentez-vous de viser et de déclencher. Oubliez les règles et autres procédés techniques caca chiants.

 

Raymond Cauchetier

 

 

Suivez l’exemple de Raymond Cauchetier, le photographe des stars. Il disait « La photo ne s’apprend pas, elle se ressent. Les règles élémentaires peuvent être comprises en un instant ! ». Si en voyant un beau gosse en attente, si en croisant son regard, en contemplant sa posture, vous ressentez un truc en vous, on ne sait où, c’est que c’est bon ! Shootez. Le résultat ne pourra être que magique.

Jean-Paul Belmondo par Raymond Cauchetier
Steve McCurry

 

 

Par contre, si le résultat ne ressemble pas au cliché intitulé « l’Afghane aux yeux verts » pris en 1985 par Steve McCurry. Ce banal cliché d’un gamine rescapée d’une guerre mêlant invasion soviétique, insurrection des moudjahidines et intervention américaine en pleine fin de la guerre froide.

Cette gamine dénichée par McCurry alors qu’il vivait simplement sa vie de photo-reporter en conflits armé quand il tomba sur elle, prête à poser, au détour d’une allée, au fond d’une tente de fortune où elle rigolait avec des copines dans un camp de réfugiés près de Peshawar au Pakistan. Bref, si la photo de votre beau gosse ne ressemble pas à un instant magique digne de la une du National Geographic Magazine. C’est peut-être, enfin si on comprend correctement Raymond Cauchetier, c’est très certainement que vous ne deviez pas assez intensément ressentir votre sujet.

 

La photographie, un coup d’œil amateur

Mallick Ghat – Flower Market – Calcutta

Mais revenons à ma question de départ. Aimeriez-vous, vous-même, faire de belles photographies avec de beaux garçons dedans ? Alors imaginez que vous êtes en Inde. Pour un beau voyage le long du Gange et de ses affluents. Que vous vous attachez à suivre religieusement les recommandations d’Henri Cartier-Bresson en vous contentant de vivre votre vie de touriste en goguette.

Disons que vous débarquez à Calcutta, sur les rives du fleuve Hooghly. Pile sur le marché aux fleurs de Mallick Ghat. C’est le plus gros marché aux fleurs d’Inde.

Un lieu où se pressent 2000 vendeurs chaque jour, mais attention, pas que des beaux ! Imaginez vous là, scrupuleusement nonchalant. Appareil photo en bandoulière, prêt pour cette belle rencontre propice à cette jolie image qu’est sensée vous apporter la vie. Et paf ! Bingo, vous tombez sur un joli vendeur. Clic Clac, vous l’immortalisez. Le résultat donne ça : 

 

C’est pas si mal. On voit bien le vendeur, et on le voit dans son élément. Une photographie de reportage, en quelque sorte. Le vendeur n’a pas les yeux rougis par le flash, et effectivement, c’est un joli garçon. Son regard est net, les yeux ressortent bien, le côté gauche de son visage n’est pas dans l’ombre alors qu’il devrait l’être, puisque le joli vendeur est décentré sur le bord de l’image. L’option mise au point avec détection automatique des visages a bien fonctionné. Il y a juste juste trois-quatre trucs à revoir. Trois-quatre babioles de rien du tout. Mais trois-quatre bricoles qui chiffonnent quand même, et qui risquent probablement de coûter à ce cliché magique de l’instant la couverture du prochain National Geographic.

 

D’abord, on ne sait pas si on doit regarder les fleurs ou le joli vendeur ? Ensuite, quel est l’intérêt d’avoir garder les devantures des magasins, derrière ? Les lignes penchent vers la droite à cause de la déformation de l’objectif et les noms d’enseignes détournent l’attention.

Si on coupe le haut, on se concentre sur le sujet et ça aura le mérite, en plus, de virer en grande partie les blancs cramés des éclairages publics qui attirent l’œil, eux aussi, tout en n’apportant absolument rien à la photo. Les fleurs ont l’air compressées et la profondeur de champs, bien trop grande, tue tous les contrastes. Les couleurs sont plates, aucune nuance subtile. La prise de vue en mode Jpeg, option tout automatique, est certes très pratique, mais ça reste son seul et unique avantage. Reste la détection automatique des visages. Comme je vous le disais, c’est pas si mal. Tout de même, compliments au joli vendeur qui pose et qui est tout beau. Puisqu’au final, c’est bien son joli minois qui fait tout l’intérêt de la photo. De là à dire que le photographe n’y est pour rien….

 

La photographie, un coup d’œil professionnel

Ken Hermann

 

 

Il se trouve qu’en 2014, le photographe suédois Ken Hermann se baladait, lui aussi, dans la même ville de Calcutta. En fait, il arpentait le même marché de Mallick Ghat. Disons qu’il flânait, appareil photo en bandoulière sur les rives du même fleuve Hooghly et au milieu des mêmes fleurs quand, devinez quoi ! Lui aussi est tombé sur de jolis vendeurs. Et voici le résultat :

 

Ces clichés, ajoutés à d’autres, formeront sa série « Flower Men« , dévoilant le portrait de vendeurs de fleurs. Et il n’y a pas que des beaux !

 

Ansel Adams

Ansel Adams, grand spécialiste américain des photos de paysage avait dit : « Il ne s’agit pas de transmettre une vision, mais de toucher les gens à travers une image ». Alors prenez le temps de regarder de nouveau cette vision tout en pastels comme sortie d’une rêverie. N’êtes-vous pas un peu touché ? Osez dire que vous ne ressentez pas comme une soudaine et violente envie de jasmin.

 

 

Ken Hermann

 

 

Nul doute que Ken Hermann ressentait suffisamment son sujet au sens où Raymond Cauchetier le pensait pour que nous, spectateurs, le ressentions aussi. En revanche, comme pour la photo iconique de Steve McCurry, l’adage bucolique selon lequel la technique ne fait pas tout a du plomb dans l’aile. Si la magie est au rendez-vous, ce n’est pas uniquement parce que Ken Hermann ressentait intensément son sujet. Quelques éléments l’ont aidé. Là encore, trois fois rien. Une ou deux astuces pro. Une peccadille en somme.

 

La photographie, une technique professionnelle

 

Comme pour le photographe amateur vu plus haut, Ken Hermann place son sujet dans son environnement. Voilà d’ailleurs leur unique point commun. La différence réside dans le choix de cet environnement. Ici le fleuve Hooghly qui permet une vue entièrement dégagée. La mise au point peut donc être faite sur le vendeur, avec une focale longue pour une faible profondeur de champs. Ainsi, l’arrière plan est flou. Pas assez pour ne pas se rendre compte de l’autre rive, mais suffisamment pour ne pas détourner votre regard du sujet. Le but : le joli vendeur vous regarde droit dans les yeux et il a toute votre attention. L’autre rive, le fleuve et le ponton sur lequel se tient le sujet ne sont là que pour donner un cadre à la photo.

 

 

L’autre avantage d’un arrière plan bien dégagé est de profiter à plein de toute la lumière naturelle disponible. Ken Hermann photographie en pleine journée, son sujet est placé à contre jour, c’est à dire avec le soleil derrière lui. En face de lui, soit derrière le photographe, un, voire plusieurs flashs assez puissants dans des boîtes à lumière. Pour résumer, une forte lumière naturelle derrière, une forte lumière artificielle devant et le modèle au milieu. Pour s’en rendre compte, observez les ombres au sol, sur l’épaule et la partie droite du modèle.

 

 

 

 

Le contre-jour permet deux choses. D’abord le modèle peut fixer l’objectif avec un regard franc, sans avoir le soleil dans les yeux. Ensuite cet éclairage par derrière dessine sa silhouette et toute son anatomie se distingue de l’arrière plan. En face, la lumière artificielle sert à éclairer son visage. Elle débouche les ombres sous ses yeux et son cou pour que son port de tête ressorte. Surtout, elle se réverbère dans le blanc de l’œil et lui fait briller les pupilles. Ce qui accentue le côté avenant du jeune homme alors qu’il ne sourit pas et n’affiche en aucune façon une attitude de séduction. Bien au contraire, il semble être simplement posé là.

 

 

 

Toute la séduction onirique de ces garçons ordinaires relèvent de cette composition et de la combinaison des éclairages. Certes, les photographies que je vous ai sélectionné ne montrent que les plus jolis vendeurs mais c’est bien le photographe qui fait le travail. C’est lui qui les magnifie, comme on dit dans les publicités. En tout cas ce n’est pas leur pose, ni leurs vêtements. On en oublie même presque les fleurs !

 

 

 

Phase One Objectif 80mm Schneider Kreuznach Blue Ring

 

Interviewé sur son travail, Ken Hermann avait déclaré : « j’aime juste la façon dont ces hommes portent et tiennent leurs fleurs. Je voulais montrer la beauté de ces vendeurs. »

 

 

 

phaseone-p40plus

 

Pour l’y aider, il aura juste eu besoin du Phase One 645DF P40 (comptez environ 14990 euros) + un bon objectif Shneider Kreusnach avec obturateur (1500 euros minimum et d’occasion) et un générateur Broncolor Move 1200 (4200 € en moyenne) pour alimenter en électricité des flashs dont je ne vous donne ni la marque ni le prix, pour que vous gardiez en tête à la fin de mon article cette petite devinette.

 

boîte à lumière
générateur Broncolor Move 1200

Enfin j’allais oublier, un ordinateur et photoshop. Même si beaucoup de photographes ne font que louer ce type d’équipement plutôt que de l’acheter, ça fait cher l’appareil en bandoulière pour flâner. Surtout, ça remet en perspective les propos de Raymond Cauchetier, le photographe des stars. Pour mémoire, il disait « La photo ne s’apprend pas, elle se ressent. Les règles élémentaires peuvent être comprises en un instant ! »

 

 

Pour terminer, la même technique, les mêmes effets, par le même Ken Hermann avec un lutteur en Mongolie, pour la série de photos intitulée « Bökh ».

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.