Selon les dictionnaires, un branleur est au mieux un oisif et un jouisseur indolent. Au pire, c’est un fumiste et un merdeux paresseux. C’est un type qui ne joue pas selon les règles de son époque et donc c’est un type qui fait chier. Un branleur, c’est un type dangereux pour ses contemporains. Chaque époque a eu ses branleurs. Il y a une histoire du branleur, pourrais-je dire. Au dix-huitième siècle, les dandys et leurs excentricités vestimentaires étaient souvent de grands branleurs. Le dandy était un type aisé, un type instruit, frivole et mondain qui se considérait au dessus de tout et au dessus de tous. Il était dangereux car il se foutait du monde et de ses conventions.
Dans les années 1940, les Zazous et leurs vestons à carreaux furent aussi de grands branleurs. Ils étaient insouciants, parisiens et amateurs de jazz. Eux aussi étaient des types souvent sortis de milieux privilégiés. Mais les premiers vrais grands branleurs populaires furent les blousons noirs, dans les années cinquante. Comme leurs aînés, ils étaient lookés, et comme leurs aînés, ils se foutaient du monde et de ses conventions. Ils aimaient vivre à la marge et avaient le goût du danger. Ils aimaient chevaucher leur moto en bande, foutre la merde dans les villages où ils discutaient à coups de poing et dévergonder des filles prudes de bonnes familles au nez de leurs pères. Ils les entraînaient, moteur hurlant et cheveux au vent au son du rock’n’roll, elles en revenaient dépucelées et délinquantes. Ils étaient autrement plus dangereux que les dandys et les zazous réunis.
Ces grands branleurs à blousons noirs donnèrent naissance au personnage de Johnny Strabler incarné par Marlon Brando dans « L’équipée Sauvage » (1953).
Il y eut ensuite James Dean (La fureur de vivre – 1955), Elvis et notre Johnny Halliday national. Mais qu’en est-il de l’hétéro branleur aujourd’hui ? Car il n’est pas mort avec la fin des yéyés. Je vous propose ce petit portrait, non exhaustif.
Évitons de perdre du temps en tournant autour du pot : l’hétéro branleur dont je veux vous parler est obligatoirement un mec canon, le contraire serait indécent. Jack Black, par exemple, est un acteur américain excellent dans le rôle de l’hétéro branleur.
Johnny Depp aussi. Jack Black joue Hal, merdeux commercial mémorable qui ne rêve que de jolis cu… filles dans « L’amour Extra-large » (2001). Plus récemment, il incarne un péteux employé au courrier qui se rêve journaliste, naufragé sur Liliput dans « Les Voyages de Gulliver » (2011).
Un film tiré du chef d’œuvre immortel de Jonathan Swift qu’en bon péteux consciencieux, le personnage joué par Black massacre avec minutie sans même le faire exprès, hilare et sans gène. De son côté, depuis 2011, Johnny Depp est Jack Sparrow : tricheur, menteur, raconteur d’histoires et mauvais payeur en plus d’être un pirate. Comme Jack Black, Johnny Depp joue des rôles d’hétéro branleurs à la perfection. Toutes ressemblances s’arrêtent là !
Oh je vous entend déjà me dire oui… oui, mais heu… Jack Black aussi, il a des cheveux ! Non, Jack Black, il a des cheveux lambda, des cheveux qui poussent connement, aurais-je envie d’ajouter. Johnny, lui, il a des cheveux dans le vent, des mèches rebelles et indomptables. L’hétéro branleur a des cheveux qui vous feront demander à votre coiffeuse favorite : coiffeuse, je veux cette tête, démerdez-vous ! Quand vous sortirez du salon, vous marcherez avec votre nouvelle tête bien haute et vous serez bien. Quand vous sentirez le vent dans votre crinière rebelle, vous bomberez le torse. Vous vous saurez beau et vous serez fier. Vous vous sentirez un peu Johnny vous même. Connaissez-vous dans votre entourage une personne sortie d’un salon qui s’est un jour un peu senti Jack Black ?
Ne me refaites pas le coup ! Pas de … oui mais heu, Jack Black aussi, il a des yeux.
Heureusement pour lui mais tout le monde s’en fout. Par contre, je veux bien changer d’exemple. Prenons John Travolta. Période « Saturday Night Fever » (1978). En voilà un magnifique rôle d’hétéro branleur. Comme je ne vous prends pas pour des idiots, je ne vous ferais pas le topo sur l’importance des cheveux (cette fois-ci lisses et magnifiquement soyeux mais un peu rebelles quand même).
Par contre, le regard… c’est un must. L’hétéro branleur canon doit avoir des cheveux qui vous ensorcellent et un regard qui vous transperce, ou qui vous tue, comme vous voulez. C’est pas moi qui l’ai inventé, le concept est aussi vieux que le cinéma.
Rudolf Valentino en était déjà l’archétype dès les années vingts. Et le concept marche dans toutes les langues, regardez Alain Delon.
Vous l’aurez compris, l’hétéro branleur est avant tout une création. Je suppose volontiers que pour avoir la carrière qu’il a eu, Alain Delon ne devait pas être le dernier des branleurs. Par contre, dans « Rocco et ses Frères » (1960), Alain Delon joue bien un petit branleur et son nom c’est Rocco. Celui de John Travolta dans « La Fièvre du Samedi Soir » est Tony. Dans « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » (1921) qui fit de lui une star, Rudolph Valentino est Julio. Tout est dit. Désolé mais il semble que l’hétéro branleur se nomme rarement Michel, François ou René, qui sont pourtant trois prénoms très convenables. Le latin lover est plus hispanique ou italien que français.
Qu’il s’agisse du winner bien puant ne vivant que pour le fric à la Léonardo DiCaprio dans « Le loup de Wall Street » (2013) ou du collégien morveux arrogant aussi ignare qu’il est populaire à la Matthew Broderick dans « La Folle Journée de Ferris Bueller » (1986) ou Mark Paul Gosselaar dans la série « Sauvé par le gong » (1989-1993), l’hétéro branleur est hyper looké.
Costard cravate sur mesure ou polo mode, jean décontract et pompes sympas, l’hétéro branleur est cool quoi qu’il porte puisqu’il a la taille mannequin. La palme revenant à l’hétéro branleur musicos.
D’Elvis en taulard et Mick Jagger en tenue improbable jusqu’à Bruce Springsteen l’ouvrier au bandana ou Bono et sa collection de lunette fashion, l’hétéro branleur musicos canon hyper looké apporte un supplément d’âme rythmé au profil mannequin qu’il incarne.
Un supplément d’âme qui nous renvoie, je vous le donne en mille, aux blousons noirs d’antan et au Rock’n’Roll. Cette musique venant des profondeurs de l’enfer, ces sonorités diaboliques se foutant du monde musical à l’ancienne et de ses conventions.
On pourrait tout de suite penser aux types des cités dans leurs survêts de marque avec aux pieds des super baskets qui ne servent pas à faire du sport. Aux rappeurs américains sous leurs tonnes de colliers clinquants et leurs baguouses à facettes. Tous sont en effet d’authentiques branleurs et beaucoup sont plus que 100% hétéro. Ils sont lookés, ont des coupes qui sont de vraies créations et leurs regards vous transpercent.
Prenez Lil Wayne par exemple. Ne vous sentez-vous pas tout de suite transpercé par ce regard de braise ? Bon, je vous l’accorde, certains musicos noir américains ont un côté tueur en série qui refroidit.
Prenons Usher, alors. Ou Amine (Moundir). Le gentil français né à Casablanca qui vous convertirait à tout ce qu’il voudrait en moins de deux. Qu’ont-il donc que les autres n’ont pas ? Est-ce le regard qui transpercerait un peu moins, les fringues qui tomberaient moins bien sur leur corps de mannequin. Peut-être la mèche rebelle, qui manque… Oui… Je vous entend le murmurer, le susurrer. Bingo !
Amine et Usher ne sont pas blancs. Or l’hétéro branleur canon qui se révolte comme au bon vieux temps du Rock’n’Roll doit pouvoir choquer mémé, certes, mais pas la tuer. Parce qu’elle a beau être vingt-et-unième siècle, mémé est quand même restée dans certains domaines assez occidentale tendance coloniale, en bref assez raciste. Oh… raciste bon teint, mais raciste quand même. Il faut que l’hétéro branleur et tous ses attributs soient blancs de blanc. Si en plus il vient du nouveau monde, l’hétéro branleur en est presque auréolé.
Mais à vendre ! L’hétéro branleur vend des disques et remplis les salles de cinéma depuis que le cinéma existe et depuis que la musique se vend. Le côté branleur de Wolfgang Mozart faisait déjà vendre des partitions et assurait sa notoriété.
Charlot le vagabond selon Charlie Chaplin était un branleur fini …et la première grande star internationale du cinéma américain. Et la publicité adôôôoore le branleur hétéro. De nos jours, le branleur hétéro vend tout aussi bien qu’une femme à poil : du parfum, des bagnoles, des fringues, des montres… mais aussi des lunettes, du café what else, ou des produits de beauté parce qu’il le vaut bien. Attention quand même, le branleur hétéro vend aussi bien, même souvent mieux, qu’une femme à poil … mais pour vendre du confort, du clinquant… du luxe ! Le voilà, le truc.
Branleur, d’accord. Fumiste, OK. Inculte, mmmouais. Hors des sentiers battus, c’est clair. Rebelle et au dessus des conventions, ça c’est obligé.
Valorisant la vie d’un SDF sans foi ni loi, sans dieu ni maître, créant sa propre chance en partant de rien pour vivre une vraie vie d’eau fraîche en solitaire dans la jungle urbaine ou au milieu du désert, mille millions de fois oui, mais branleur canon, friqué, looké Diesel et parfumé Dior dans une voiture de sport, sinon…
Voilà qui nous éloigne d’un ou deux iotas du blouson noir des origines. Mais en réfléchissant, voilà aussi qui nous ramène finalement à ce bon vieux Dandy des siècles passés, au dessus du monde et de ses conventions. Frivole et friqué. Un modèle toujours d’actualité.
Oui, je vous entends ? Je vous entends me dire : et tout ça pour quoi, pour en arriver où ? Et les gays dans tout ça ? Ben les gays, ils sont là pour acheter les produits, pardi ! Vous n’imaginez quand même pas que les hétéros footeux sillonnent les Séphoras de France en masse pour un parfum qui s’appelle « Sauvage ».
Ni qu’ils arpentent par milliers les allées beauté des magasins pour un coffret Prada visage et corps. Franchement ! Ils se les feront acheter pour noël ou leur anniversaire par leur copine, leur femme ou leur mère. Toutes ces femmes ou ces jeunes filles qui se rêvent prudes.
Celles avec lesquelles nous communions à l’unisson devant toutes ces pubs, la bouche pendante et les yeux ronds. Parce que c’est nous, l’autre cœur de cible inavoué de l’hétéro branleur canon blanc américain looké au physique de mannequin, à la mèche rebelle et au regard de braise qui vous transperce. C’est nous, l’autre grande niche commerciale à grosse carte bleue. Vous imaginiez qu’on était quoi ? Nous sommes bel et bien l’autre cible marketing fantasmant de se faire dévergonder et entraîner, moteur hurlant et cheveux au vent au son du rock’n’roll, pour revenir dépucelées et délinquantes. What else ?
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