Gene Kelly ou Fred Astaire, deux facettes de l’homo-érotisme hollywoodien ?
Lorsque l’on pense aux comédies musicales de l’âge d’or de Hollywood, il est assez aisé d’entre-apercevoir la touche gay qui a accompagné tout le processus de leur élaboration. Que cela vienne des costumes ou des décors, des paroles des chansons ou des chorégraphies, voire de leur réalisation même, le nombre important d’homosexuels présents derrière la caméra est depuis longtemps connu de tous.
Ce n’est pas pour rien que l’unité de production d’Arthur Freed au sein de la MGM était surnommé la « Fairy Unit » par les plus mauvaises langues.
Les actrices mises en avant dans ces films auraient-elles été autant sublimées si d’aventure le genre n’avait été peuplé uniquement d’hétéros ?
On pense à Rita Hayworth, Marilyn Monroe, Betty Grable et bien sûr à Judy Garland. Mais quand est-il de la représentation des hommes ? Je vous propose le portrait des deux plus célèbres danseurs hollywoodiens, chacun champion de la comédie musicale de sa décennie, et reconnu comme bien hétéro comme il faut par les biographes.
Pourtant chacun, sûrement à son insu, a probablement drainé dans les salles obscures autant de gay au regard expert que de midinettes enamourées. Parce que l’homo-érotisme, c’est bien connu, trouve toujours un chemin.
Fred Astaire, du débutant dégarni au dandy élégant
À trente-quatre ans, Fred Astaire n’est plus le débutant à Broadway du début des années 20 lorsqu’il auditionne pour la RKO en janvier 1933. Son premier bout d’essai sera pourtant jugé médiocre par le producteur David O. Selznick.
« Je ne suis pas certain à propos de l’homme, aurait-il écrit sur un de ses légendaires mémos, mais je sens, malgré ses oreilles énormes et sa mauvaise ligne de menton, que son charme est si énorme qu’il ressort, même à cette épreuve misérable ».
Si Astaire n’était pas Gay, je vous propose d’analyser plus en détail comment cet énorme charme qui avait touché jusqu’au très hétéro Selznick, a été sublimé, comme on dirait dans la pub, au point de faire d’Astaire, non seulement le danseur préféré de ces dames, mais également et très probablement une incarnation dansante du dandy chic et sophistiqué, un brin efféminé, qui devait sûrement ravir quelques messieurs.
Tout l’art du monsieur fut de savoir apporter à l’écran une part de la culture du cabaret traditionnel, à savoir de la sensualité à la masculinité pour évoquer une certaine nonchalance, une décontraction fortement teintée d’androgynie. Nul doute que Fred Astaire trouva dans les studios une ribambelle de gay pour l’aider dans ce cheminement jusqu’à la finalisation d’un style unique.
Il y avait d’abord les tenues vestimentaires, à la fois formelles et décontractées sur l’ensemble des films pour se terminer en haut de forme, cravate blanche et queue de pie pour le grand final. Le dandy gracieux et propret parfait.
Mais tous ces accessoires de mode n’auraient rien donné sur quelqu’un comme Oliver Hardy, par exemple. Le corps de Fred Astaire faisait le costume, pourrait-on dire. Un corps filiforme mais athlétique. Souple et puissant à la fois. Une gestuelle toujours délicate, des mouvements de bras étudiés, une démarche sautillante et des mains fines aux doigts longs et manucurés. Astaire dansait même lorsqu’il ne dansait pas !
Un corps de mignon, beau à regarder, avec une harmonie complète entre le mouvement et sa propre rythmique. Quantité de photographes à l’œil expert ont su trouver l’angle idéal pour capturer chez Astaire ce côté bondissant un brin précieux.
Fred Astaire, c’était aussi une bonne bouille. De grand yeux expressifs, un visage tout en longueur et des oreilles un peu décollées. Pas forcément beau, mais plein de charme, assurément. Cute, diraient les anglais. Enfin, une petit voix. Une timbre assez fluet mais pourtant assuré dans les parties chantées.
Pour terminer, il faut parler chorégraphie car tout l’art du monsieur y réside. Et il est difficile de parler de lui sans évoquer Hermes Pan. Grand danseur et principal collaborateur de Fred Astaire jusqu’en 1968.
Astaire le surnommait son « homme à idées », il appréciait grandement son aide en tant que partenaire de répétition dans le but de peaufiner une routine.
Pour faire court, si Ginger Rogers rayonnait au côté de Fred à l’écran, c’est Hermes Pan qui interprétait Ginger lors des répétitions et la mise en place de chaque pas pour la choré finale. Ginger n’apprenant les pas qu’à la dernière minute. Personne ne sait si Fred connaissait l’homosexualité de Hermes Pan mais les deux hommes étaient très bon amis jusqu’à la mort d’Astaire en 1987.
Chaque fois qu’on admire le duo Astaire-Rogers, il faut se rappeler que la chorégraphie a été élaborée par deux hommes pendant des heures. Tout le charme athlétique, rythmé, sensuel et amoureux qui s’en dégage vient peut être d’ailleurs de là, qui sait ?
Gene Kelly, l’hétéro musclé qui fait fantasmer
L’arrivée de Gene Kelly sur grand écran en 1942 pour le film « For me and my gal » marque un profond changement dans la représentation du héros masculin de comédie musicale. A l’opposé du très coquet et sophistiqué Fred Astaire des années trente, Gene Kelly impose délibérément une gestuelle virile, une danse massive par des pas, des sauts et des élans affirmés, et surtout une façon de s’extérioriser, de prendre l’espace littéralement à bras-le-corps.
Des chorégraphies combinant toutes les influences, du ballet classique à Broadway, au sport et à la tap-dance. Lui aussi venait de Broadway, et lui aussi est connu pour être parfaitement hétéro. Nul doute que son allure athlétique et sa corpulence compacte a dû rassurer les grands pontes des studios.
Pourtant là encore, l’homo-érotisme surgit. Bien au corps défendant de Gene Kelly. Lui-même avait déclaré : « La danse attire les jeunes hommes efféminés. Je ne m’y oppose pas tant qu’ils ne dansent pas de façon efféminé. Je dis simplement que si un homme danse de [cette façon], il danse mal, comme si une femme montait sur scène et se mettait à chanter de la basse. »
Sauf que, le danseur n’étant que le point de mire donné au spectateur, si tout autour du lui l’homosexualité est présente, elle se retrouvera forcément par touche quelque part dans le film. En voici deux exemples concrets.
Anchors aweigh » (1945), « Take me out to the ball game » et « On the town » (1949) sont trois productions qui réunissent à l’écran Gene Kelly et le tout nouveau chéri des adolescentes (les bobby-soxers), le jeune Frank Sinatra et sa voix de velours. Lui aussi parfaitement hétéro. Chacun de ces films sont des films de bons copains, avec Gene Kelly dans le rôle du beau gosse musclé, séducteur et arrogant, toujours suivi de très très près comme son ombre par le gringalet, timide et romantique Sinatra (un rôle largement à contre emploi).
Il est assez superficiel de commenter avec un regard du 21ème siècle des scènes de films tournées il y a plus de soixante-dix ans. Pourtant, observer Sinatra et Kelly flirtant l’un avec l’autre dans une démonstration d’homo-érotisme doux en temps de guerre parmi les marins ou les joueurs de base ball laisse pantois.
Dans ces trois films qu’ils tourneront ensemble, la quête de l’amour avec un grand A sert d’intrigue. Au final, les couples sont formés et chacun a trouvé la fille qui lui correspond. Mais vu d’un angle plus large, Frank Sinatra et Gene Kelly sont bel et bien Le couple principal de ces films, celui autour duquel tout se construit.
Debbie Reynolds a dit un jour que Gene Kelly avait les cuisses les plus fortes de toutes celles qu’elle connaissait. Elles étaient comme des pistons, avait-elle tenu à préciser. De solides cuissots magnifiquement mis en valeur dans le ballet du film « The Pirate » de 1948, mais aussi sournoisement introduis dans « Anchors Aweigh » dans la scène du dortoir.
Le studio savait ce que voulait son public féminin et le lui donnait autant que la censure le permettait. Ce faisant, chacune de leurs apparitions renforçait une érotisation du corps du danseur.
Mais c’est une toute autre partie du corps mise en avant de Gene Kelly qui lui conférait également une charge homo-érotique qui devait ravir quelques messieurs parmi les spectateurs : ses fesses. C’est encore le cas aujourd’hui. Il existe même un blog qui leur sont dédiées.
Elles apparaissent à de très nombreuses reprises dans de nombreux films. Souvent moulées, comme dans la tenue du clown Chocolat dans le film « An American in Paris » de 1951 ou encore dans le mini short du ballet du film « The Pirate ».
Chaque fois, derrière la caméra se tenait Vincente Minelli, qui devait très certainement filmer le tout en grand connaisseur. On imagine également le travail précis et peut-être même gourmand de l’équipe qui élaborait les costumes ainsi que les essayages et les retouches.