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Homosexualité, dindes et langues de vipère

Du camp, de la volaille… et de l’art

Être ou ne pas être une dinde

 

« Un gay qui vote pour la droite, c’est comme une dinde qui vote pour noël » décrétait Jean-Luc Roméro en 2013 au micro de la journaliste Pascale Clarke, qui en pouffait de rire. C’est avec ce trait d’esprit en guise de résumé définitif qu’il justifiait son départ des rangs de l’UMP pour rejoindre la socialiste Anne Hidalgo et son équipe de campagne pour les élections régionales de 2014.

 

 

Une façon de dire les choses et le monde un brin caricaturale et pourtant caractéristique de ce qu’on pourrait appeler un certain art oratoire gay. Celui qui fait sourire la ménagère. Un art de la déclamation à la fois hautain et affecté qui correspond à l’image clichée du gay un peu hors sol.

 

 

Cet humour camp, autant espiègle qu’artificiel venant d’un gay forcément en dehors de toutes conventions sociales, au dessus des rôles familiaux et en orbite autour de la « normalité ». Le gay comme un dandy à la langue bien pendue et au verbe haut. Champion de la Bonne Parole, éminemment profonde, tout en sachant rester légère comme une bulle de champ’.

 

 

 

Une dinde, qu’est-ce ?

 

Plusieurs analyses et de nombreux articles se sont fait forts d’essayer d’analyser au fil des ans le rôle de ce type d’humour dans le processus de socialisation des homosexuels. Avec des succès divers. Je suppose que pour l’observer sans sombrer dans l’analyse psychanalytique, on doit se retourner vers du léger nous aussi. Je vous propose comme exemple les séries Tv. Bien souvent, cet humour camp y est incarné à merveille par des personnages féminins.

 

 

Les succès de séries telle que « The Golden Girls » dans les années 80, « Absolutely Fabulous » dans les années 90, ou encore dernièrement celui de « Desperate Housewives » en témoignent. Des personnages féminins farouchement indépendants, hauts en couleur et hors normes, jamais loin de l’autosatisfaction, toujours prompts au bon mot au bon moment, surtout s’il est méchant. N’est-ce pas là une des définitions de l’homosexualité ? Ou serait-ce celle d’une dinde suffisante et satisfaite ?

 

Voici pèle-mêle ci-dessous quelques emphases grandiloquentes et catégoriques sur le monde et la vie, tirées de ces fameuses dindes séries :

 

The Golden Girls. Blanche à Rose :

-Seule les femmes ordinaires pleurent. Les femmes belles font du shopping.

 

Absolutely fabulous, Patsy à Edina :

– Darling, si tu veux dire des conneries, saoule-toi au whisky ! Au moins tu sera inconsciente avant de te prendre au sérieux.

 

Desperate Housewives. Mary Alice :

-Tout le monde à un faible pour les scandales ! Et si pour une raison ou une autre, vous n’aimez pas le dernier en date, patience… Le prochain n’est jamais très loin.

 

Trois séries éminemment gay-friendly, et trois séries où les gays sont présents, parfois même dès la conception. Notamment le producteur Marc Cherry, à l’initiative de « The Golden Girls » comme de « Desperate Housewives ».

 

Mais qu’en-est-il du pourquoi de la dinde ?

 

Si une dinde désigne familièrement une femme sotte ou écervelée, il est tout de même plus classe que le mot bécasse, qui pourtant désigne peu ou prou la même chose. La filiation au monde des volatiles est évidente, la différence réside dans l’idée du rang social qu’on lui sous-entend. Une bécasse rappelle immanquablement Bécassine la boniche. Une dinde, ça fait plus standing. Même davantage qu’un dindon, vous remarquerez ! Maintenant vaut-il mieux être le dindon de la farce qu’être pris pour une dinde ? Je ne me lancerai pas dans le débat ici.

 

 

Malgré tout, l’association du volatile et du gay demeure. Fait-elle sens ? Pour Jean-Luc Roméro, c’est évident. Et je n’ai pas souvenir d’articles ou de revendications outrées des différentes associations LGBT à l’époque. J’imagine que, comme pour tout gay un peu sorti de chez lui, vous diriez que l’homosexualité comprend effectivement des dindons mais peu de vraies bécasses. Par contre, iriez-vous jusqu’à dire sans détour avoir déjà croisé dans un lieu gay quelconque quelques dindes ? Un attroupement peut-être ? Je vous laisse y réfléchir, …et méditer votre réponse.

 

Qu’en est-il du camp ? Selon Wikipédia, « le camp est un humour espiègle qui déjoue les artifices et la dimension performative des rôles sociaux. Le camp est également une forme d’autodérision qui permet aux hommes gays de rire des difficultés de leur condition dans une société homophobe ». La question qui me vient immédiatement à l’esprit est celle-ci : le camp est-il un humour de dinde ? 

 

Pour essayer d’y répondre, je vous propose une personnalité, réputée à l’époque pour sa langue bien pendue, voire parfois carrément mauvaise. Mieux, qui en avait fait son fond de commerce.

 

Jacques Chazot ou le mondain parisien

 

Danseur dans les années 50, Jacques Chazot aurait pu terminer sa carrière dans l’ombre et se concentrer sur des cours ou de la mise en scène. Sauf que le Paris mondain a toujours eu besoin de personnages lumineux pour lui donner de l’éclat. Et coup de bol, Jacques Chazot savait briller.

 

Entré à l’Opéra-Comique en 1946, il y gravit les échelons jusqu’au titre d’étoile en 1958. Sans devenir pour autant un grand danseur reconnu à la Rudolf Noureev, il se fait tout de même un petit nom en dansant divers rôles de répertoire et en signant quelques chorégraphies. Mais tandis que la scène lui offre les projecteurs, ce seront les galas parisiens et la télévision anglaise, où il parodie en tutu les ballerines classiques, qui lui apporteront la renommée.

 

 

Une renommée populaire en rien au goût des puristes de la danse. Il démissionne de l’Opéra-Comique en 1963.

De mauvaises langues diront qu’il aurait été poussé vers la sortie ! De mauvaises langues envieuses et très vilaines, très certainement.

Qu’importe, Jacques Chazot passera le reste de sa vie à faire ce qu’il sait faire de mieux à part danser : amuser la galerie.

 

 

 

 

 

Nul mystère sur son homosexualité, bien au contraire. Jouant jusqu’à la caricature le gay mondain, il sera omniprésent dans la sphère médiatique comme dans les pages people durant toutes les années 70 et 80. Tout commence dès 1969 avec « Sur la pointe des pieds ».

 

 

Une émission de variétés sur l’ORTF dont il est l’invité principal. En maître de cérémonie, Jacques Chazot accueille Greco, Barbara, les frères Jacques et Gina Lolobrigida. Il danse avec Bardot et discute avec Fernand Reynaud. L’émission n’est pas d’une qualité inouïe. Les quelques images que l’on peut retrouver sur le net nous montrent des cadrages mauvais, des lumières tristounes et des décors sommaires. 

 

Pire, il s’agit d’une émission en noir et blanc alors que la couleur a déjà fait son apparition en 1967 dans certains programmes tv.

Mais l’important est ailleurs. Durant toute l’émission, Chazot virevolte, sourit, fait la conversation, se montre charmant, galant, agréable et de bonne compagnie. Il pousse jusqu’à la caricature l’image idéal du bon copain gay du tout-Paris qu’il est, et qu’il restera jusqu’à la fin de sa vie.

 

Marie-Chantal, la dinde version Jacques Chazot

« Les carnets de Marie-Chantal » resteront sans nul doute sa meilleure contribution à l’humour camp tel que définit par Wikipédia. Par la forme d’abord : des carnets comme autant de bons mots et de scénettes à déguster comme des bonbons. Par le personnage surtout : Marie-Chantal ! Davantage qu’une création, la naissance d’une institution.

 

Au départ, il s’agissait de petites histoires drôles racontées par Chazot dans les dîners en villes.

 

 

Ces petites histoire que le tout-Paris se racontait sont ensuite devenues des articles pour la revue Elle. La publication sous forme de carnets de 140 pages écrit en gros caractères n’arrivera qu’en 1956. Marie-Chantal de Bois-Maudit est un personnage prémonitoire du futur personnage que se créera Chazot. Futile, insouciante et méchante sans même s’en rendre compte, elle est snob, un peu folle (perdue ?) et surtout égocentrée et totalement déboussolée hors de la bonne et haute société. Exemples :

 

Marie-Chantal donne l’aumône à un mendiant. « Merci », dit le pauvre. Marie-Chantal : « Merci Qui ?

Marie-Chantal a une amie

« Gladys, je prends le métro aujourd’hui…. Vous connaissez ?  »

Marie-Chantal en colère après sa bonne :

« Réunissez, je vous prie, et ce sera chose vite faite, vos pauvres hardes, et retournez au plus vite dans le milieu pour lequel vous êtes faite ».

 

 

Le personnage de Marie-Chantal est inspirée des diverses conversations des élégantes que Chazot le mondain avait pu croiser dans les salons de la haute société. Elle est coquette, maniérée et insouciante. L’intonation de sa voix est grand-bourgeoise, son accentuation des mots rejoint sa garde robe, son maintien et son port de tête pour signifier : je ne suis pas Peuple, je ne l’ai même jamais été.

 

 

 

 

Elle n’est pas un personnage figé pour autant. Elle a d’abord été de droite, puis vint « Marie-Chantal de gauche » que Chazot fit publier en 1983 sous Mitterand. Elle n’a pas d’âge. Une Marie-Chantal de vingt ans vaut une Marie-Chantal de quatre-vingt. 

 

Elle est également désuète et moderne à la fois. Elle est de toutes les époques et donc elle est intemporelle. Finalement, la plus grande Marie-Chantal de tous les temps n’aurait-elle pas été la Reine Marie-Antoinette elle-même ? Marie-Antoinette, reine du camp ? Qui l’eut cru ?

 

Scandale ! Marie-Chantal la dinde en cachait une autre

Marie-Chantal est également un artifice. La littérature est toujours la meilleure solution pour un auteur : écrire par le biais d’un personnage ce qu’il dirait de lui-même si il le pouvait. Un personnage comme un moyen, un projection du moi profond de l’auteur en quelque sorte.

Comment ne pas penser à la caricature de ces grands coquets qui ont de tout temps fait les nuits gay où qu’elles se produisent. Les grandes folles et leurs langues de vipère. Ce qui nous ramène aux séries Tv dont je vous parlais plus haut et dont la participation des gays à l’écriture reste un élément primordial pour qui veut en comprendre le succès.

À l’image de sa Marie-Chantal, Jacques Chazot adoptera un dandysme affecté et volontiers provocateur jusqu’à la fin de sa vie. Surjouant l’efféminement, appelant Thierry Le Luron « Le bébé que je n’ai pas eu ! ». Grand ami de Françoise Sagan, de Juliette Gréco, Régine et Coco Chanel. Il sera, de fait, un phare gay mettant sous la lumière les autres gays mondains qui seraient bien restés cachés : Thierry Le Luron, Jean-Claude Brialy, Yves Mourousi, Jean Le Poulain…

 

Le jour de sa mort, Le Monde écrivait « Par une cruelle ironie, le destin l’a frappé d’un cancer à la gorge, lui qui avait la langue si bien pendue qu’elle fit sa célébrité ».

 

Pour terminer et en revenir à Jean-Luc Roméro et à sa déclaration sur noël, il est important de signaler que Chazot votait toujours à droite. Il était même réputé pour cela. Maintenant aurait-il volontiers accepter d’être traitée de dinde ? Je vous laisse juge.

 

 

 

Pour la route, une Marie-Chantal :

david jean felix

Blog gay français- homosexualité et homophobie - histoire et photographie - articles et humour

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commentaires

  • Je suis d'accord avec Alain Jan, Le Parti était homophobe, ceci dû sans doute aux grands bourgeois qui l'ont fondé en Russie.
    Avant guerre le populo était tolérant vis à vis de l'homosexualité., mais après guerre il a changé en s'embougeoisant.
    L'homophobie est entrée dans les foyers ouvriers en même temps que la machine à laver.

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