Quels changements ont apportés les gays dans les JT ?
Et survint Jean-Baptiste Marteau
Lorsqu’à l’été 2018 Jean-Baptiste Marteau remplace Laurent Delahousse pour quatre semaines à la tête du 20h de France 2, les français le connaissent à peine. Il réussit pourtant l’exploit de signer plusieurs records d’audiences d’affilé. Outre son professionnalisme, son physique de gendre idéal et son grand sourire utlra bright avaient visiblement séduit les téléspectateurs.


Lorsqu’en octobre de cette même année 2018, il annonce son homosexualité sur X à l’occasion de la journée internationale du coming out, il devient presque instantanément une incarnation d’une nouvelle génération de journalistes gays, visibles et assumés.
Dès lors, quel que soit le journal qu’il présente, sa présence est à la fois le signe d’une normalisation des personnes LGBT dans les médias en général et les chaînes d’infos en particulier, mais surtout l’incarnation d’une plus grande ouverture d’esprit du public. Une avancée qui vient de loin. De très loin même.
Journaliste politique et rôle social
Si le JT de 20h, comme dans une moindre mesure celui de 13h, sont des programmes télévisés très exposés, c’est parce que traditionnellement le journaliste présentateur y a un rôle de « représentation nationale ».

À l’heure du dîner comme à celle du déjeuner, il est celui qui vient faire le bilan des informations à La France ! Il s’agit presque d’un rôle social. Le présentateur du JT est à la fois médiateur de l’information, source de crédibilité, acteur de la démocratie et formateur d’opinion. Tout en un, en quelque sorte.

Que ce soit à travers son style, son ton ou son choix de présentation, la manière dont les spectateurs perçoivent les événements nationaux comme internationaux découle de son influence, tout comme elle en est le révélateur.
Dans les années 60 et 70, les présentateurs de JT étaient perçus comme des figures solennelles et autoritaires. Costume sombre de rigueur, souvent accompagné d’une cravate, attitude sérieuse, voire distante, telle était la panoplie obligatoire d’un présentateur type.


Dans la lucarne, il était l’homme tronc, celui qui vous disait la France et le Monde, les yeux dans les yeux, face caméra. Devant lui, un large bureau avec tout plein de papiers et de documents, comme pour souligner l’extrême sérieux autant que la fiabilité de ses propos.
Autant vous dire qu’à l’époque de Léon Zitrone, superstar populaire des JT de l’ORTF depuis 1958, imaginer un présentateur ouvertement gay assumer la même position relevait du rêve saugrenu, ou de la divagation pure. C’est pourtant bel et bien un journaliste Gay qui va dynamiter tout ça.
Celui qui débordait du placard
C’est avec un tonitruant « Bonjour » décontracté parfois suivi d’un clin d’œil complice lancé aux téléspectateurs en début de JT qu’Yves Mourousi débarque à l’orée des années 80 et impose brutalement un changement de style. Successivement remplaçant puis présentateur du JT de 13h de 1975 à 1980 sur la toute fraîche TF1, il forme un duo quotidien avec Marie-Laure Augry à partir de 1981 jusqu’en 1988. Avec lui souffle le vent de la modernité.

Il apporte un ton moins académique, un style plus naturel et une volonté affichée de se rapprocher du téléspectateur par une plus grande humanité, n’hésitant pas à laisser transparaître son émotion en annonçant certains reportages, ou sa personnalité dans les sujets légers.


Et le moins que l’on puisse dire est que sa personnalité a plu aux français. Certes, son statut public a donné lieu à une certaine exposition médiatique mais c’est à la fois son professionnalisme journalistique et son excentricité qui ont touché une corde chez les français. La question est de savoir si son homosexualité a pu avoir un rapport avec son style simple et avenant, car la décontraction n’a jamais été uniquement l’apanage des gays à ce que l’on sache.
D’ailleurs Yves Mourousi, ouvertement homosexuel dans le cercle privé autant que professionnel pendant des années, se garda bien d’assumer cette particularité devant le grand public. Durant toute sa carrière, il restera une sorte de gendre idéal pour les français, bien qu’un peu fantasque.

Pour qui cherchait vraiment à savoir, les rumeurs n’étaient jamais bien loin et son mariage en grandes pompes en 1985 en avait provoquer un autre, caricatural et burlesque entre Coluche et Thierry Le Luron. Une mise en scène clownesque comme une mise à l’index du mariage people de Mourousi, tout aussi clownesque malgré une apparence de normalité et de glamour pour les unes de magazines de potins mondains.

En tous les cas, l’honneur était sauf. À une époque où un coming-out à la télévision était impensable, Mourousi restait hétérosexuel pour la France moyenne.
Il reste néanmoins difficile d’imaginer qu’avec sa vie nocturne dans le milieu gay parisien, sa consommation de drogue et les rumeurs de liaisons homosexuelles, Yves Mousousi n’ait pas acquis ce recul sur les choses de la vie qu’on acquis tant d’autres gays de cette période, contraint à mener une double vie, l’une publique, l’autre dans le placard.
Sa capacité à passer du sérieux à la légèreté, avec une approche parfois un peu décalée devait bien venir de quelque part.

Même époque, autre style

Hervé Claude commence sa carrière à la radio, comme journaliste économique à France Inter, avant de passer en télévision et de faire l’essentiel de sa carrière à Antenne 2, devenue France 2 dans les années 80 et 90, au milieu d’icônes de l’info comme Christine Ockrent ou Patrick Poivre d’Arvor.
Fine moustache blonde et flegme British, l’image qu’il projetait tranchait avec celle de Mourousi. Lui aussi pourtant devint très populaire et contribua à faire évoluer le rôle du présentateur de JT. En termes de posture, d’élocution et de présentation, Hervé Claude avait un style sobre, un ton calme et une certaine dignité dans la présentation de faits politiques majeurs comme d’événements tragiques. Il a fortement contribué à imposer un style qui est un standard aujourd’hui, à savoir un ton solennel sans être théâtral, à la fois rigoureux et formel. L’information se suffisant à elle-même.


C’est en 2009, au détour d’une interview qu’il donne au journal Libération qu’Hervé Claude fait son coming out. Désormais pacsé depuis plusieurs années à un sculpteur d’origine roumaine, Matei Negreanu, le journaliste affirme ne jamais avoir été dans le placard. Dans son entourage personnel comme professionnel, tout le monde savait. S’il affirme également ne jamais avoir voulu mettre cet aspect de sa vie en avant, refusant un militantisme actif, il reste l’une des premières personnalités du petit écran à avoir assumer au grand jour sa sexualité.
Cependant, comme pour Yves Mourousi durant la même décennie des années 80, Hervé Claude subira bel et bien le même conformisme ambiant. Marié plusieurs années avec Françoise Kramer (présentatrice de JT disparue accidentellement en 1984), jamais il ne se confiera sur cette partie de sa vie privée. « Je suis journaliste, pas acteur ou chanteur » assènera-t-il.

S’il concède aujourd’hui que les choses ont beaucoup évolué, son approche reste celle d’un homme calme et discret, ne cherchant pas à faire de sa sexualité un moyen de promotion ou un combat mais la vivant simplement, comme une des facettes de sa vie personnelle.
Bruno Masure, un style bien à lui

À l’été 1984, promu à la présentation du JT de 20 heures jusqu’en 1990, Bruno Masure s’installe dans les salons des français par la magie de la télévision. Look sobre et décontracté, langage clair et parlé, privilégiant un français fluide et accessible, il apporte au JT un ton direct et naturel.
Très professionnel, dans la grande tradition du journalisme à l’ancienne, la modernité qu’il insuffle vient à la fois de son humour, n’hésitant pas à glisser une petite pique ironique dans ses lancements ou ses transitions, ainsi que de son accessibilité apparente, créant une proximité avec le public. Autant Yve Mourousi pouvait être spectaculaire et théâtral, autant Hervé Claude incarnait la sobriété et l’élégance, autant Bruno Masure respirait la spontanéité et la simplicité. L’engagement également.


Lorsqu’en 1987 une rumeur courait selon laquelle Isabelle Adjani était malade du SIDA, il fut celui qui l’invita à démentir sur le plateau de son JT. Tout comme il a toujours arboré l’insigne contre le Sida et rappelé tranquillement, à l’époque où les Français y voyaient encore une maladie de pédé et de toxicos, qu’il faisait plusieurs tests de dépistage par an.
Réputé pour son blagues grivoises comme pour son autodérision, Bruno Masure transmettait une forme de convivialité. Une convivialité qui laisse place à une franchise brute dès qu’il s’agira de parler de la façon dont il sera outé par Mireille Dumas dans une de ses émissions empreintes de psychiatrie télévisée.

« Pour une de ses premières émissions de confidences, elle s’est mise à gratter sur mes orientations sexuelles alors que je n’étais pas venu pour ça, a-t-il déclaré. Au bout d’un moment j’en ai eu marre, et comme un con, j’ai tout lâché, je lui ai dit que j’aimais les filles et les mecs. »

S’il avait reçu des lettres de soutien après ce coming out forcé, Bruno Masure avait aussi récolté des messages particulièrement violents. « Des insultes où je me faisais traiter de pédé et qu’il fallait que je dégage. Mais surtout d’autres, qui venaient de petits gars de la campagne qui me remerciaient d’avouer ce que j’étais, car eux, n’y arrivaient pas. De ce point de vue-là, le résultat était positif… »
Autre signe des années 80 ? Dans sa vie privée, Bruno Masure a lui aussi été marié. Ils sont depuis séparé et n’ont pas eu d’enfant.

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