Un homme singe, deux fantasmes


Ron Ely

En septembre 2024 disparaissait Ron Ely, celui qui avait incarné Tarzan dans la série américaine du même nom de 1966 à 1968. Les médias américains ont surtout relaté la nouvelle en remémorant la tragédie de 2019. Sa femme, ex miss Floride 1981, est retrouvée morte à leur domicile de Santa Barbara. Poignardée à de multiple reprises par Cameron Ely, 30 ans, leur propre fils. À l’arrivée des forces de l’ordre, le jeune homme se terre à l’extérieur de la maison, puis décide de résister à son arrestation.  

 

 

 

À l’arrivée des forces de l’ordre, le jeune homme se terre à l’extérieur de la maison, puis décide de résister à son arrestation. Il sera abattu sur le champs. Une belle histoire macabre mêlant célébrité, homicide et grande demeure californienne, comme seule l’Amérique sait les produire.

Pourtant le décès de l’acteur ravive chez d’autres un souvenir nettement moins morbide, celui d’un acteur qui à l’époque dût faire se pâmer nombres d’homosexuels encore pré-pubères.

 

 

Une chevelure ébouriffée, une peau halée, un torse imberbe et un imposant physique athlétique d’1 m 93 pour 105 kgs, tout un corps en muscles et en abdos ciselés, promesse d’une virilité vigoureuse, à peine cachée par un pagne en peau de bête, bien échancré comme il faut de chaque côté. Si la série ne dura que deux saisons à l’antenne, Ron Ely est quant à lui resté très populaire aux U.S.A. Comme quoi un pagne, ça marque.

 

 

Tarzan, les origines du personnage

Vous vous en fichez probablement mais sachez que le mot « jungle » vient du sanskrit Jangala (जङ्गल pour ceux qui connaîtraient la langue). Puisque désormais vous voilà avancé sur l’étymologie, sachez maintenant que le terme fut popularisé par le succès du recueil de nouvelles de Rudyard Kipling, Le Livre de la jungle (1894). En pleine ère industrielle, la jungle vue comme une grosse forêt puissance mille symbolisa un univers humide et chaud, exotique mais source d’inconnu et de sauvagerie.

 

 

 

 

Une nature incontrôlable et labyrinthique évoquant la confusion et l’impuissance dans la désorientation. La jungle est également un isolement de toute commodité comme de toute civilisation. Se perdre dans la jungle mène à un retour du primitif en vous, du sauvage. Enfin pas toute suite mais en à peine quelques jours, inévitablement.

 

 

 

 

 

C’est justement dans cette allégorie labyrinthique obscure et primaire que voit le jour le personnage de Tarzan d’Edgar Rice Burroughs en 1912, dans le roman au titre évocateur Tarzan chez les singes. Totalement inscrit dans l’extraordinaire éclosion du culturisme, nourri de la religion de la beauté physique et des courants naturistes du début du 20ème siècle, Tarzan possède tous les attributs que les contemporains de Burroughs imaginent.

 

 

 

 

 

 

C’est un mâle sauvage, un Dieu de la forêt, musclé mais intelligent, sauvage mais blanc de peau. D’ailleurs Tarzan veux dire « peau blanche » dans la langue grand-singe inventée spécialement par Burroughs pour son roman. Précision qui en dit long sur le racisme structurel de l’empire Britannique de l’époque. Un Tarzan noir était inconcevable.

 

 

Pourquoi, me demanderiez-vous les mains sur les hanches si vous étiez face à moi ? Ben parce que Tarzan c’est du sexe, pardi ! Et pas pour n’importe qui en plus. Pour les belles dames blanches anglaises qui vont non seulement acheter le livre mais qui vont dans leurs rêves indécents se projeter dans le personnage de la très civilisée Jane. Tarzan, c’est de l’aventure, du suspens et des combats à mains nous contre des bêtes féroces, c’est aussi le face à face charnel entre la haute-bourgeoisie fanfreluchée et le mâle à l’état brut. Pur, chevaleresque et intact !

 

 

 

 

Tarzan, un fantasme gay

Bertrand Mandico, le réalisateur des « Garçons sauvages » et « After Blue (Paradis sale) » déclara lors d’une interview à la quinzaine des cinéastes :

« Johnny Weissmuller en slip dans Tarzan, l’homme singe [de W.S. Van Dyke, sorti en 1932], c’est quelque chose qui m’a beaucoup troublé quand j’étais tout jeune. J’ai dû apercevoir le film à la télé, et ça me semblait d’un érotisme fou. Cet homme primitif se frotte à toutes les branches, toutes les lianes, il empoigne des singes. 

 

 

C’est extrêmement sexuel, Tarzan est d’un homoérotisme absolu. Le végétal et le corps ne font qu’un chez lui, c’est un personnage qui s’épanouit sexuellement tout seul, la jungle lui suffit. Grimper à un arbre provoque un orgasme, agripper une branche aussi. Et puis Jane vient foutre la merde… »

 

 

Une des premières descriptions de Tarzan chez les singes insiste d’ailleurs sur « son corps droit et parfaitement proportionné, musclé comme devaient l’être ceux des meilleurs gladiateurs de l’ancienne Rome ». L’homoérotisme du personnage est donc présent dès les origines, même si on n’appelait pas encore ça de cette façon. James Allen Saint John est le premier artiste chargé d’illustrer les aventures de Tarzan. C’est lui qui dessinera la premier le corps du héro et la première représentation de son unique vêtement, le célèbre pagne en peau de bête.

 

 

 

Ce symbole de virilité, de domination mais également de vulnérabilité car derrière, le héro est nu. Quelle que soit votre sexualité gay, c’est ce pagne qui oblige votre inconscient à toutes sortes de spéculations régressives. Ce pagne vous impose deux directions. Soit vous êtes Jane version gay. C’est à dire un garçon BCBG coincé dans univers social pesant.

 

 

 

 

 

Vous vous fantasmez courant comme un éperdu, haletant jusqu’aux confins de la civilisation, jusqu’à l’orée de la forêt où vous vous perdez dans une jungle aussi opaque qu’inquiétante, jusqu’à Tarzan, l’homme singe qui vous recueille comme un fruit dans ses gros bras musclés. Vous voilà enfin sauvé mais aussi captif de cet homme singe rustre, vigoureux, viril et sexuellement frustré. Pour survivre, vous devez vous soumettre. Tout un programme.

 

 

Les représentations érotiques voire pornographiques n’hésitent pas à placer le gay dans ce rôle de soumission. Souvent un gay plus jeune, voire un petit intello à lunettes, perdu dans la jungle, sauvé et donc soumis à Tarzan. La soumission sexuelle est un puissant fantasme.

 

 

 

 

Le corps de Tarzan est un pilier fétichiste par excellence. Au même titre que celui du gladiateur. Dans l’univers gay, il peut à la fois être le dominateur mais aussi le soumis. Dans l’autre option érotique ou pornographique connue, la jungle devient un terrain de chasse, la quête de l’homme singe devient par conséquent une traque. Cette fois-ci, vous êtes la lionne version gay.

 

 

Tarzan devient alors le cheval fougueux et sauvage. Celui que l’on approche à pas feutrés et que l’on surprend par derrière, évidement. Il devient la bête qu’on accroche, qu’on empoigne à mains nues et qu’on encorde à deux jambes, nues elles aussi, tant qu’à faire.

 

 

 

 

 

Pour finir, en bon chasseur traqueur que vous êtes, vous emmenez votre prise au loin, au calme. Le primate humain devient alors sur place celui qu’on contraint, qu’on soumet et qu’on chevauche fièrement, et finalement qu’on apprivoise. Et toujours, quelque soit le fantasme, cette jungle alentour, luxuriante et labyrinthique, comme un gigantesque lieu de drague, ou un grand parc d’attraction, c’est selon.

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