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Black is beautiful

Black is beautiful

Le corps de l'homme noir, entre stéréotypes raciaux et érotisme

Toute représentation est chargée de préjugés. Le corps de l’homme noir est sûrement de loin celui qui a le plus suscité de variation dans sa perception au fil des siècles. Loin de moi l’idée de vous entraîner dans un article exhaustif listant tous ces clichés et autres partis pris « artistiques », profitons plutôt de quelques-uns de ces poncifs pour rendre hommage à quelques beaux garçons à la peau d’ébène qui ont grandement contribué à la diffusion d’une imagerie sexy et positive de l’homme noir.

 

Gerald Oglesby

Le sourire noir

Al Jolson

Tout le monde en connaît la caricature. Un sourire peinturluré façon blackface. Une tradition raciste consistant à exagérer le contraste de la peau noire avec le blanc de la dentition et celui des yeux qui apparaissent ainsi globuleux. Un amusement qui trouve ses racines dans le théâtre Élisabéthain avant de prendre toute sa démesure dans la toute jeune Amérique esclavagiste. Amusement de fêtes foraines ou de spectacles de Ménestrels, le maquillage « Blackface » est majoritairement utilisé par un artiste blanc de music hall ou de cirque pour divertir un public blanc. L’objectif scénique est le burlesque. L’archétype racial est évident. Le bon esclave noir, joufflu et rigolard est interprété pour faire rire. L’artiste blanc grimé en noir fait le clown.

 

 

Comme le clown, le maquillage met en avant une bouche grande ouverte, deux gros ballots pulpeux et de grandes dents blanches dans une attitude souriante et niaise, amplifiée par deux gros yeux ronds exprimant tout sauf l’intelligence. Un sourire noir béat, aussi franc que bête, tenant du benêt ravi et de l’esclave content de son sort.


Sydney Poitier

 

À l’exact opposé, le sourire de Sidney Poitier est un rafraîchissant retour à la réalité. De jolies fossettes pour un visage rieur. Ce qui ne signifie pas rigolard. Un patronyme exotique d’origine française remontant à la conquête normande de l’Angleterre. Un sourire venu des îles, des Bahamas pour être plus précis. Sidney Poitier est un homme de 37 ans lorsqu’il remporte l’oscar du meilleur acteur pour « Lillies of the field » en 1964. Devenant ainsi le premier acteur noir à l’obtenir. Il faudra attendre le 21ème siècle pour voir un autre noir remporter la statuette. Ce sera Denzel Washington en 2001 pour « Training Day.

 

 

 

En 1968, Sidney Poitier est considéré comme l’acteur le plus populaire du box office. Deux des films dans lesquels il tient le rôle principal sont nominés à l’oscar du meilleur film : « Guess who’s coming to dinner  » et « In the heat of the night ». Poitier interprète des rôles d’avocat noir, de docteur noir, d’enseignant noir, de travailleur social noir ou de policier noir. On est loin des rôles d’ouvriers, de portiers ou de domestiques en vigueur jusque-là et majoritairement associés à l’homme noir descendant d’esclaves. Costard-cravate plutôt que bleu de chantier, polo sport plutôt que T shirt, Poitier incarne avec le sourire des hommes noirs qui pensent, qui savent se fringuer et qui aspirent à la réussite. À des kilomètres du clown à Blackface, hilare et dansant pour amuser la galerie blanche.


Le corps noir

Dès l’antiquité occidentale, le corps noir est représenté comme une étrangeté. Les grecs sont les premiers à regrouper toutes les variétés de ces corps foncés sous l’appellation générique d’Éthiopien. Davantage qu’une mosaïque de cultures, l’éthiopien est un corps unique, venant de la lointaine Éthiopie. Probablement l’équivalent de la lointaine planète Mars d’aujourd’hui. Αἰθιοπία / Aithiopía signifie peau foncée ou visage brûlé par le soleil. La civilisation grecque des origines a disparu, le mot Éthiopie est resté.

 

1492, la découverte de l’Amérique et de ses peuplades « indiennes » marque le début de ce que les historiens français nomment l’époque moderne. La soif de grandes explorations de territoires inconnus qui suivit (Asie, Afrique centrale) et la découverte de tous ces corps indigènes aux coutumes aussi dépaysantes que païennes et saugrenues mèneront l’européen du XVIème siècle et de la Renaissance à ce constat anthropologique définitif : l’homme blanc est un corps supérieur. La déportation massive de corps noirs vers le nouveau monde coïncidera avec ce postulat. Le corps noir devient alors un corps nègre. Dans le sud des États-Unis, il devient un outil, une masse musculaire.

C’est justement d’une de ces grandes terres d’esclavage que vient Carl Lewis : l’Alabama. Son corps d’1m88, tout en longueur et son visage poupon ont marqué l’histoire pour deux raisons. D’abord par ses performances athlétiques uniques. Champion du monde du saut en hauteur et du relais 4×100, il est surtout le champion mondial du 100m, qu’il est le premier à parcourir en moins de 10 secondes. Champion Olympique à de multiples reprises pour les mêmes disciplines, il sera nommé athlète du siècle par le comité Olympique. La seconde raison de sa popularité sera sa personnalité. Fier comme un paon, égoïste et prétentieux sont les qualificatifs qui lui sont souvent associés. Des qualificatifs qui lui coûteront beaucoup en termes de popularité mais qui ne parviendront pourtant jamais à ternir l’argument principal de sa notoriété. Un argument aussi important que sa vitesse sur la piste : son corps.

Carl Lewis

 

 

 

Est-ce son sourire juvénile, ou bien ses petits shorts échancrés, peut-être sa façon de se tenir debout, de courir, de s’élancer, bref de poser ? Est-ce le mélange de tout ça qui alimenteront les rumeurs d’homosexualité de l’athlète ? Des rumeurs à la fois jamais démenties, et parfois entretenues par l’absence de réactions ou les réactions évasives de Lewis lui-même. Ce qui est sûr, c’est que Carl Lewis a une élégance naturelle, une « attitude » comme disent les américains. Un look fait pour les couvertures de magazine de sport, mais aussi de mode, de santé, et évidement, la presse people et ses ragots.

En plus d’être un sportif, Lewis est un corps, et son corps est une star. Aucun athlète noir avant lui n’aura autant utilisé son corps pour vendre. Des publicités pour vendre des voitures, des pneus, donc un corps noir synonyme de puissance et de performance. Un corps noir synonyme aussi de santé, pour une marque de céréales. Des publicités pour vendre du déodorant également, ou des pompes, ou des fringues… Carl Lewis en Marilyn Monroe de la vente est un corps synonyme de désir, une source d’identification et un déclencheur d’achat. En résumé, un champion, un corps noir, un beau gosse et une attitude. Avec Ben Johnson ou Usain Bolt, on sait qu’il y a eu un après Carl Lewis. Je doute cependant qu’il y ait eu un jour un avant.

Le sexe noir

Au moyen-âge, le corps noir est associé à la nuit, au ténèbres et aux forces du mal. À cette époque de forte religiosité, il est à l’opposé de la pureté et de l’innocence immaculée. Le corps noir n’a pas la couleur de la colombe envoyée par Noé depuis son arche pour savoir si les eaux se sont retirées après le déluge. Il n’a pas la couleur associée à la chasteté ni à la candeur. En un mot, le corps noir n’est pas le corps blanc des anges ni celui des vierges. Même le corps de Jésus-Christ est blanc. Le noir, c’est Judas. C’est le diable. C’est une couleur infernale.

 

Au moyen age, les jeunes filles sont des jouvencelles. Les jeunes garçons sont des damoiseaux en quête de l’amour courtois qui aspirent à devenir chevaliers. L’amour est pur et héroïque, mais le diable rôde. Si les anges n’ont pas de sexe, le diable est fortement sexué. C’est un malin qui cherche à posséder. La vertu est en danger, il faut protéger la femme blanche. La protéger du diable, des pirates, des bandits et autre Robin des Bois. Cette idée de la femme-enfant à préserver prévaut jusqu’au 19ème siècle où elle croise alors la route de toute une littérature médicale et anthropologique sur la démesure des organes génitaux de l’homme noir d’Afrique subsaharienne.

 

 

Un pénis hors norme qui non seulement alimente et alimentera pour longtemps tout un imaginaire salace, mais qui surtout risquerait de titiller une libido pas du tout chrétienne, même chez la plus pudibonde des vierges. Le pénis noir est dangereux par sa taille, il l’est encore bien davantage par son pouvoir d’attraction corruptrice et son goût de revenez-y ! Le sexe noir, comme le bonbon du diable. Pire qu’avec le pirate ou Robin des Bois, il s’agit de préserver l’intégrité de la race blanche.

 

C’est précisément par son sexe que Thomas Williams fera parler de lui. Au départ, un anonyme bodybuildeur d’1 mètre 80, il devient rapidement célèbre dans l’industrie américaine du porno des années 80 sous le nom de Joe Simmons. Ses arguments sont imparables : des épaules puissantes, des abdos en béton et un bas ventre musclé. Le tout au service d’un sexe long comme le bras, énergique et volontaire. 

 

 

Si la carrière porno de Joe Simmons n’a rien produit d’extraordinaire. Pas de films mémorables, ni de scènes d’anthologie aux millions de vues sur les tubes X du net, catégorie Vintage. C’est davantage le trajectoire de Simmons qui mérite le détour. Une trajectoire ascendante à l’image de son membre titanesque.

 

Jusqu’à son arrivée, la présence d’hommes noirs dans la pornographie gay américaine est très faible. Parfois un noir ou deux apparaît par-ci par-là dans un loop en 16 mm des années 70, mais le plus souvent, les noirs s’ébattent entre eux, relégués dans des productions entièrement noires, pour un public noir. C’est justement de ce milieu très restreint de niche pornographique que va émerger Joe Simmons. Au point qu’il finira par travailler pour de grosses boîtes de productions gay américaines, au point même où il y tournera des film interraciaux. Il sera le premier noir à le faire.

Robert Mapplethorpe

 

Ce sera cependant sa rencontre avec le photographe Robert Mapplethorpe qui restera dans les esprits. Le photographe, grand amoureux du corps noir, aura à cœur de d’explorer les effets de lumières sur une couleur d’ébène. Exposer les formes, les replis et le grain de peau dans des compositions dignes de natures mortes fortement homoérotiques. Dans Interview Magazine, en 1987, Robert Mapplethorpe explique s’être donné pour défi de faire apprécier le corps noir aux lecteurs majoritairement blancs du magazine. « To see the black man’s ass as a sexual object » précise-t-il carrément.

 

Et pour joindre l’acte à la parole, il présente une série de photographies avec son nouveau modèle fétiche : Joe Simmons, qui pour l’occasion retrouve son vrai nom, Thomas Williams. Des photos en tenue d’Adam où Thomas Williams enlace amoureusement une femme blanche, toute de blanc vêtue. Joe Simmons venait ainsi de sortir du monde porno pour celui plus grand public de l’art sulfureux. Peu d’acteur porno auront eu sa trajectoire. Il sera la seul noir a y être parvenu.

Joe Simmons by Robert Mapplethorpe
david jean felix

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