Quand le coming out devient perpétuel

Être homosexuel

À la naissance, la société assigne automatiquement à chacun une identité par défaut, une sorte de paramètre standard masculin-féminin, une configuration certifiée sortie d’usine en quelque sorte, ou un profil type qui se voudrait neutre. Neutre étant évidement implicitement synonyme d’hétérosexuel. Pour chaque sexe, l’identité est assortie d’une panoplie, comme pour Barbie. Pour un garçon, elle est associée à toutes sortes de ballons, des potes et des bagarres, le goût de la compète, du risque et de la destruction.

 

On peut caricaturer cette panoplie à quelques besoins essentiels : jouer, rigoler, dormir et chier ! Le coming out arrive des années plus tard, quand on se rend bien compte qu’il va falloir casser tout ça et imposer aux autres une toute autre masculinité. Une masculinité qui repose sur un simple petit paramètre différent tout béta, tout simplet mais qui modifie en fait tout la configuration de l’ensemble : la sexualité.

 

 

L’homo sexualité, s’entend ! Car il va de soi qu’il n’y a aucun intérêt à révéler son hétéro sexualité à qui que ce soit ! Une fois le coming out accompli, vous tombe alors dessus une toute nouvelle panoplie.

 

Attention, pas celle, datée, du garçon efféminé, associée à toutes sortes de loisirs “féminins”, passif dans tous les sens du terme et lascif à souhait. Les mentalités ont de ce point heureusement évolué. Plutôt, disons, la panoplie de l’homme out et fier, confiant et qui est sorti du placard pour enfin imposer sa place en société. Comme si le coming out était ce grand moment unique où sortir du placard signifiait vivre sa vie pleinement.

 

 

Grave erreur ! Le Grand Coming Out, celui qu’on fait à sa famille et à ses proches, tantôt larmoyant, tantôt penaud, après moult préparations ou de façon imprévue, voire parfois par la force des circonstances ; Ce fameux Grand Coming Out s’avérera en fait n’être que le premier !

 

 

Suivront inévitablement quantité d’autres, plus ou moins confortables. Un processus à renouveler sans cesse jusqu’à la fin de sa vie ! Certains chercheurs appellent cela le coming out perpétuel. Et il s’agit effectivement de cela. Je vous propose trois exemples pour illustrer cette théorie universitaire.

 

 

Le coming out familial

 

Généralement, on commence par faire son coming out à sa famille la plus proche. Quelque part, on espère que ses parents se chargeront de diffuser l’information à leur tour. On découvre très rapidement que ce ne sera pas le cas ! Pour deux raisons simples. La première mérite de passer par un exemple. Un garçon, suite à un coming out plutôt tranquille, remarque que l’annonce a placé ses parents dans une forme d’apathie profonde.

 

Voilà donc notre auto outé en train de se reprocher de ne pas avoir suffisamment ménager ses parents, ou du moins de ne pas s’être outé comme il aurait fallu. Parce que pour un coming out, on aura souvent tendance à s’occuper de la personne réceptrice de la “révélation” plutôt que de l’émmeteur. La sollicitude doit en quelque sorte d’abord aller aux proches que nous prendrions au débotté, en plein bonheur hétérosexuel quotidien, pour leur jeter au visage cette fantaisie sexuelle, aussi intime qu’égoïste.

 

 

La deuxième raison, qui découle de la première, consiste pour le ou les récepteurs à faire de cette fantaisie un secret bien lourd, à enfermer à double tour dans le plus lointain des cachots, au plus profond de leur cerveau. Parce que pour faire court, votre homosexualité gène, elle embarrasse, ou au moins elle dérange, voire pour certains parents, elle fait honte. Et puis comment aborder le sujet après “ça”. Une coming out party ?

 

Dans la plupart des cas, vous devenez donc, à peine “votre gros truc” révélé les larmes aux yeux, un enfant sans sexualité. C’est plus simple ! On n’en parlera pas ! Voilà comment, in fine, cette mise à nu qui n’intéresse finalement que vous, sera à poursuivre, évidement exclusivement à votre charge. À vous d’évaluer l’opportunité, ou même l’utilité, de mettre au courant, presque un par un, chaque membre de la famille lors de baptèmes, mariages et autres cousinades. L’exercice peut prendre toute une vie.

 

Le coming out professionnel

Pour aborder le sujet, commençons par une petite devinette. Combien de temps faut-il à vos collègues le lundi pour s’épancher à tout va sans s’en rendre compte sur l’hétérosexualité pleine et entière de leur vie. D’après mes statistiques perso, quelques secondes. Moins d’une minute dans le meilleur des cas.

Cela passe par les collègues mamans qui discutent progénitures dès 8h à la machine à café, aux collègues papas, qui discutent entre eux de leur week-end en famille. Autant dire que dès 8h, un gay commence illico sa journée par cette question quotidiennement ressassée : où vais-je trouver ma place ?

 

 

Davantage encore qu’avec ses proches parents, le coming out n’est au travail jamais unique. Vous savez d’instinct que d’afficher un rainbow blag sur votre polo n’est pas la chose à faire. Et puis, même si tout le monde est courant, chaque nouveau collègue, chaque nouvelle recrue impose un nouveau coming out. Selon différentes études, le monde du travail est l’espace social où les gays tairaient le plus leur inclinaison sexuelle. La bonne blague !

 

 

 

 

Outre le fait que l’environnement professionnel n’est pas forcément le lieu où l’on se fait ses meilleurs amis, même quand on est hétérosexuel, y être homosexuel pourrait s’apparenter à y être l’agneau dans la cage aux loups. À qui se confier ? Dans quel intérêt ?

 

 

Quand bien même un coming out à l’ensemble du personnel serait possible, encore faudra-t-il qu’une fois outé, votre vie amoureuse intéresse les gens. Être gay, ce n’est pas comme être maghrébin et faire goûter des cornes de gazelles à la pause déjeuner.

C’est moins propice à la discussion que d’être bordelais et de comparer les plages du bassins d’Arcachon avec celles, Bretonnes, d’un ou deux autres collègues. L’homosexualité, c’est avant tout la sexualité. Et même si vos collègues s’amusent facilement de plaisanteries grivoises, cette grivoiserie ne fait que renforcer sans s’en rendre compte la grosse chape d’hétérosexualité qui règne avec des blagues de fesses où tout compte fait chacun est bien à sa place, homme ou femme. Le viril, le sensible, les positions, l’actif et le passif. Tentez une allusion à votre dernière partie de jambes en l’air et vous laisserez tout le monde pantois. Polis, mais pantois. Et inévitablement, le retour à la question 1 : où vais-je trouver ma place ?

 

 

Le coming out au quotidien

Lorsqu’une célébrité fait son coming out, on a l’impression que la planète entière est au courant. Pourtant, vous tomberez toujours sur quelqu’un qui tombera des nues ! Comment, Elton John est gay ? Le coming out au quotidien est le pire et le plus insidieux de tous, car il se joue en dehors de la sphère familiale et professionnelle. Vous voilà seul face au monde entier, en quelque sorte.



 

 

Or le monde entier consiste en quantité d’êtres humains qui chacun, appartient et évolue dans plusieurs groupes sociaux dans lesquels il est amené à occuper des rôles et des places différentes. Une personne homosexuelle ne dérogera donc pas cette règle. Chaque cercle, chaque communauté et chaque nouveau lieu implique de nouvelles rencontres et chacune d’elle impose un nouveau traitement de l’information.

 

 

Une sorte d’étude de l’environnement qui aboutira, ou pas, à un nouveau coming out. La grande majorité des personnes hétérosexuelles n’ont aucune réelle conscience de la non neutralité de l’espace public.

 

 

Presque tout leur y est adressé, de la plupart des chansons, des films à la présence d’hôtesses dans les stades de la Coupe du monde ou dans un salon de l’auto, sans oublier les publicités, la littérature en général jusqu’aux dessins animés pour enfants et même l’idée que l’on se fait d’une maison de retraite.

 

Par conséquent, toute conversation, même anodine engagée par le premier quidam venu croisé n’importe où aura toute les chances de présupposer que vous n’êtes pas gay ! Ce sera également le cas lorsque vous vous inscrirez dans un club ou une association lambda, dès que vous converserez avec les autres membres. Lorsque vous emménagerez dans votre nouvelle résidence et que vous croiserez vos nouveaux voisins. Encore le cas chez le docteur, quand vous recruterez une femme de ménage ou si vous faites venir des artisans chez vous pour des travaux.

 

 

Si vous allez camper l’été ou que vous vous inscrivez à un voyage organisé. Pour faire court, les hétéro et l’hétérosexualité sont partout. À vous de vous adapter puisque dans ce vaste quotidien, vous êtes considérés comme hétéro ; toujours cette identité par défaut qui remonte à l’a naissance.

 

 

Le coming out perpétuel

Voilà donc ainsi définit ce que des chercheurs ont appelé le stress omniprésent chez beaucoup d’entre nous. Celui qui pousse à taire son orientation sexuelle dans certains lieux parce qu’on n’en ressent pas la nécessité ou parce qu’on perçoit instinctivement l’environnement comme hostile à une telle déclaration.

 

 

Les conséquences peuvent être dramatiques. On peut éviter d’augmenter ses sphères sociales en évitant les nouvelles rencontres, qu’elles soient d’ordre privé ou professionnel. Une véritable stratégie d’évitement qui mène à l’isolement. On n’aborde pas le sujet face au médecin et on passe à côté de propositions de dépistages et de conseils importants pour sa santé physique et mentale. On développe ses propres stratégies pour tenter de diminuer ce stress en choisissant de ne s’entourer que d’homosexuels quitte à s’enfermer dans un ghetto.

 

Quelle que soit la forme que cela prend chez chacun, tous les gays sont touchés par ce que d’autres chercheurs appelle le stress minoritaire. Voilà pourquoi, sans vouloir exagérer les choses, mais sans les minorer non plus, on peut dire que la révélation de son orientation sexuelle est une sorte d’activité permanente pour tous, et que l’évaluation rapide de tout nouvel environnement comme de toute nouvelle rencontre devient un réflexe relevant de l’instinct, source de stress chronique, aux conséquences importantes sur nombres de nos choix de vie, passés, présents mais également futurs, car l’expérience, cette coquine parfois douloureuse, vous rappelle que l’avenir est toujours plus sûr si on l’anticipe en sachant d’où l’on vient et surtout qui on est.

 

Le coming out à soi-même

Le premier coming out reste finalement le plus important. Il est celui que l’on est amené à faire à soi-même. Il est l’aboutissement d’observations, d’interrogations, de doutes et de balbutiements et se termine par un constat. Ce premier coming out posera la base d’une identité autour de laquelle s’affinera toutes les caractéristiques de la personnalité. Tous comptes faits, je me demande parfois si ce n’est pas le seul qui importe.

4 Replies to “Coming out, si je veux !”

  1. né en 1948, j’ai fréquenté des filles, comme tout le monde, trop peur, trop honte, et j’avais du plaisir avec les femmes. marié, 2 fils. a 50 ans, divorce en bon accord avec ma femme ! je commence une vie sexuelle avec des hommes, jeunes et moins jeunes ! 10 ans plus tard, un ami vient vivre avec moi, dans ma maison. pour mes parents, c’est un colocataire ! mes parents agés décèdent, je n’ai pas fais de “coming-out”, jamais parlé de sexualité dans ma famille catho-pratiquante. en retraite , j’écris mon livre auto-biographique, une vie qui ne fut pas un long fleuve tranquille ! a la fin du livre, je présente mon futur mari, et j’offre le livre a mes 7 frères et soeurs, 18 neveux et nièces, mes 2 fils étant déja informés. aucune mauvaise réaction, le livre m’évite de répéter la mème chose a chacun ! je peux vous passer ce livre en version PDF par mail. voyez sur internet = Badinguet, une vie et tant de secrets !

    1. Bonjour Bernard et merci pour ce témoignage. Je suis allé voir sur internet comme me le demandiez et j’ai vu votre livre sur amazon. Si vous voulez me l’envoyer par mail en Pdf, j’accepte volontiers. David

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