On ne nait pas gay, on le devient !

“Je suis gay !”. En voilà une phrase que l’on se dit régulièrement lorsque l’on se parle à soi même. Et pourtant voilà aussi une phrase que l’on ne prononce pas très souvent à voix haute en société quand on y réfléchit.

Primo, parce qu’il serait assez étrange de se présenter comme ça aux gens qu’on rencontre pour la première fois. Imaginez la scène, avec un collègue de bureau fraîchement recruté, et beau comme un dieu sinon c’est moins drôle :
– Salut. Je suis content de te voir, s’avance chaleureusement votre nouveau collègue la main droite en avant, l’alliance rutilante. Moi c’est Jérôme, le petit nouveau. Je viens te voir parce qu’on m’a dit qu’on allait faire équipe.
– Super, moi c’est David et je suis gay !

Vous me direz, ça pose la situation d’emblée, surtout si votre ton est enjoué. Mieux encore, imaginons la rencontre avec votre nouvelle voisine toute voilée, rencontrée dans la cage d’escalier avec son bébé dans les bras en train de batailler avec sa poussette. Tandis que vous l’aidez, la conversation démarre comme suit :
-Vous voulez un coup de main pour la poussette Madame !
-Oh, merci ! Je veux bien oui !
Et tandis qu’elle vous sourit, allez-y franco :
-Je m’appelle David, et je suis gay !
Si une de ces situations vous arrivent, essayez et dîtes-moi si ça jette un froid.

Secundo, parce que rares, très rares sont ceux qui passent leur temps à dire tout haut “je suis gay !” à qui veux l’entendre ; parce que rares, très rares sont les garçons qui se définissent d’abord comme gay pour parler de leur personne aux autres. Si tel est le cas, vous avez affaire à un garçon pas très intéressant. Un gay creux en quelque sorte, ou nouille, à vous de voir. En fait la plupart des garçons se considèrent ouverts et rieurs, d’autres intellos, maniaques, réservés, chiants, voire très chiants en société… Bref, comme le reste du monde, un garçon se positionne avant tout sur différentes échelles de qualité et de défaut pour se décrire au mieux. Plus ou moins psycho-rigide, plus ou moins bon public en divertissements et loisirs, plus ou moins sportif, bordélique, etc… Bref, et j’enfonce une porte bien ouverte, allez dans n’importe qu’elle bar gay, asso gay ou autre lieu gay et vous y trouverez une mosaïque de types sociologiques tous plus variés les uns que les autres. Et puisque la porte est ouverte, entrons carrément dans l’évidence : tous les garçons de cette gigantesque mosaïque sociologique ont donc un point commun. Ils sont gays. Tous. Pourtant, et même dans chacun de ces lieux, je doute qu’être gay soit le principal sujet de conversation. Les garçons se rencontrent, échangent, bavardent, rient, dansent…. mais abordent assez rarement le sujet de l’homosexualité en tant que tel. Pourquoi me demanderez-vous ? D’ailleurs même si vous ne vous le demandiez pas, je le fais pour vous car sinon je suis emmerdé pour finir mon article. Pourquoi, me demanderez-vous donc très justement ? Parce que être gay n’est pas une qualité ou un défaut mesurable sur une échelle. On peut être plus ou moins mélomane, plus ou moins bavard ou bordélique… Mais on est rarement, très rarement plus ou moins gay qu’un autre. Même un gay creux ou nouille. Quand on est gay, on l’est ou on ne l’est pas ! Et quand on l’est, c’est pour un moment.

Enfin, et j’en reviens à mon titre : si comme moi, vous savez qu’il ne vous arrivera que très exceptionnellement d’entrer en conversation en société par un magistral : “je suis gay !”, comme certaines glousseraient un triomphal “je suis enceinte !” pourquoi, oui pourquoi se le dit-on alors si régulièrement, si constamment, tout le temps, au boulot, dans le train, au supermarché, en attendant le bus… partout et surtout chaque fois que l’on est en public, en société. Non pas pour se le rappeler en cas d’oubli, gros taquin que vous êtes, prompt à lancer la vanne facile. Mais au contraire parce que les autres, eux, ne le savent pas, cela ne se voit pas et pour beaucoup cela n’existe pas ! On se le dit parce qu’on jauge la personne à qui l’on s’adresse, on se le dit quand on s’abstient de parler famille avec les collègues, quand on entretient le mystère sur sa vie privée au boulot, au moment où on évite une blague salace à la cantine.

On se dit “Je suis gay !” quand on se virilise en entretien avec son patron, quand on choisi d’habiter loin de son entreprise, quand on opte pour un quartier plutôt qu’un autre, plus craignos. Quand on y est si bien mais quand on s’y bécote pas non plus dans la rue avec son copain, quand on y surveille du coin de l’œil la gentille petite mémé du deuxième qui vote FN, quand on sait qu’on aura beau faire, on sera jamais très loin d’un autre quartier où ça craint pour de vrai de vrai.

On se dit “Je suis gay !” au moment où on hésite à prendre le bus de nuit qui passe par ce quartier, et on se le répète sans le montrer dès qu’on évalue en deux secondes les crânes rasés bourrés qui s’assoient à vos côtés. On anticipe les réactions. On se rappelle toujours comment il faut faire. On fait attention à ce qu’on dit, on mesure ses gestes et on sait que certains sont morts de n’être pas assez bon à ce jeux là. On se dit “Je suis gay ! On sait jamais…”

Wilfred de Brujin après son agression en avril 2013.
Wilfred de Brujin après son agression en avril 2013.

 

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