Homosexualité et musique militante dans l’Angleterre des années 80

Angleterre Thatcherienne et homosexualité

 

Si la France décriminalisa les rapports homosexuels dès 1791, bien que quantité de lois sur l’exhibition sexuelle, l’outrage ou l’attentat à la pudeur se succédèrent pour réprimer cette liberté au siècle suivant, l’Angleterre est restée fidèle à son conservatisme bigot et pudibond jusqu’au 20ème siècle. En bref, si la France était un phare en Europe pour les libertés sexuelles, même sévèrement contrôlées, l’Angleterre était à l’inverse le pays repoussoir et dangereux où homosexualité rimait avec condamnation sur le champs et mise à mort en public pour sodomie jusqu’en 1861.

 

 

Puis ce fut la case prison avec travaux forcés en guise de pénitence. Oscar Wilde en fit les frais douloureusement, avant justement de venir finir sa vie en France. Le 20ème siècle ne s’annoncera pas plus rose cependant. Dans les années 1950, la répression s’accéléra même, avec une police britannique plus impliquée que jamais à traquer les relations entre hommes et à multiplier les arrestations dans toutes les couches sociales, comme celle par exemple du célèbre mathématicien Alan Turing, condamné en 1952 pour indécence manifeste et perversion sexuelle.

 

Plutôt que la prison, ce dernier optera pour la castration chimique. Il se suicidera deux plus tard. Il faudra attendre le Sexual Offenses Act de 1967 pour que les actes homosexuels soient légalisés, à la condition qu’ils soient consensuels, en privé et entre deux hommes âgés de 21 ans révolus, quand la majorité sexuelle pour les hétérosexuels restait fixée à 16 ! L’avenir aurait enfin pu s’annoncer radieux. Ce ne sera pas le cas.

 

 

En 1979, alors que le pays est plongé dans le marasme économique, le Royaume Uni se voit infligé par le vote à la tête du pays une première ministre au brushing mousseux impeccable, collier de perles hors d’âge, sac à main de vieille fille, jupe plissée jusqu’en dessous des genoux, chemisier sans pli et petite broche sage sur la veste : Margaret Thatcher, le conservatisme faite femme.

 

 

 

Durant toutes les années 80, c’est à dire son règne, celle qui n’avait pas été touchée par les mouvements mini jupe, Beatles, punk, Rolling Stones et j’en passe, s’affairera à démolir les syndicats et à imposer la libre-entreprise. Elle connut de grands succès. 

 

 

 

 

Mais Maggie restait inquiète. Tout comme les conservateurs du parti qui l’entouraient au 10, downing street, l’activisme des groupes gays et lesbiens en plein essor depuis la dépénalisation ne correspondaient en rien aux valeurs que sont look travaillé revendiquait. Oui, Maggie était inquiète, et cela n’augurait rien de bon pour les LGBT. C’est dans ce contexte du début des années 80 pourtant qu’émergent les figures dont je voulais vous parler. Des hommes aux looks diamétralement opposés, entre eux comme avec celui de Maggie, et aux carrières bien différentes. Pourtant, des visages et des homosexualités triomphantes, chacune présage de changement à venir, malgré Maggie.

 

 

Jimmy Somerville

Lorsqu’en 1984, Bronski Beat sort le titre Smalltown Boy qui dénonce la persécution d’un jeune homosexuel dans une petite ville de province britannique, le groupe devient célèbre dans toute l’Europe et s’ensuit une flopée de tube qui vont squatter les têtes des classements musicaux dans les années qui suivent. Notamment avec Why ? qui fit également les beaux jours de la pub pour la Peugeot 205 en 1985, ou encore avec la reprise de I feel love de Donna Summer.

 

 

 

 

Si le nom du groupe vient de son fondateur, le musicien Steve Bronski, c’est bien le chanteur qui fait sensation : Jimmy Somerville. Crevette écossaise d’1m58, gringalet aux cheveux coupés ras et en brosse à la Tintin. Un petit gabarit au coffre et à l’agilité vocale surdimensionnée, chantant souvent en voix de tête, donnant ainsi à chaque morceau ces envolées aiguës qui donnent envie de danser. Une voix presque hypnotique mais pour des paroles qui sont avant tout des messages forts.

En pleine ère Thatcher, Somerville est une voix de l’homosexualité. La voix simple et rugueuse de l’homosexualité provinciale, celle de la working class. Celle qui transparaît déjà dans le titre, comme dans le clip de Smalltown Boy.

 

 

Gay des villes contre gay des champs

 

 

 

C’est en 1983, soit un an plus tôt, qu’un autre chanteur fait sensation : Holly Johnson, fringant dandy longiligne et excentrique, au visage d’enfant de cœur faussement candide. La chanson Relax de son groupe Frankie Goes to Hollywood fait scandale avec des paroles hautement suggestives mises en images dans un clip sulfureux et à l’imagerie ouvertement SM gay réalisé par Bernard Rose.

 

La chanson, comme la vidéo finiront par être censurées par la BBC, accroissant quasiment de fait sa notoriété et son succès mondial. Dès les premières images, le clip donne le ton et mélange les fétichismes homosexuels. Comme à la sortie du boulot, genre job de comptable pâlichon, un Holly Johnson, comme à son habitude tout propret tout beau et en costume cravate gris clair, arrive à l’entrée d’un bar undergound qu’on imagine Londonien.

 

 

 

 

 

À l’entrée l’attend un beau gosse à casquette, tout vêtu de cuir noir, musculeux et sexe comme un Brad Davis échappé du film Querelle de Fassbinder, sorti l’année d’avant au cinéma.

 

 

 

À peine entré, direction le sous sol et le bar où Holly Johnson fait figure d’ange venant volontairement se perdre dans la pénombre ; un visage juvénile entourés de solides gaillards virils.

 

 

Entraîné jusqu’au fond de l’endroit, il est vite acclamé par les clients avant de finir dépenaillé et harnaché sur une roue tournant sous les jets d’eau, métaphore de jets de pisse ! Holly n’est pourtant pas très effrayé.

 

 

Mieux, on le retrouve quelques instants plus tard, chevauchant tout sourire un beau moustachu, sa cravate faisant office de harnais. Relax revisite la décompression au pub du working boy londonien en quelque sorte.

 

 

 

 

Avec Smalltown Boy, réalisé par le même Bernard Rose, pas de cuir, pas de backroom improvisée ou de mecs en cage. Nous sommes dans l’Angleterre rurale, toute tristoune. Jimmy incarne le Smalltown Boy en jean T-shirt qui fantasme sur les garçons à la piscine. Parmi eux se trouve Le garçon. Celui qui fait de l’effet à Jimmy. Là encore, un garçon simple, aux antipodes des mecs en cuir fétichistes et bien clichés entourant Holly Johnson.

La chanson, comme le clip, sont ancrés dans une réalité très terre à terre.

 

 

 

Jimmy est confronté tour à tour à l’homophobie du joli garçon tant désiré, à finir bastonné après une course poursuite qui se termine dans un cul-de-sac, être ramené tout sanguinolent chez ses parents par la police, et finalement se faire virer de chez lui par une mère en larmes et un père distant.

 

Un contraste saisissant quand on pense à Holly Johnson terminant son clip débraillé mais extatique, métaphoriquement enseveli sous la pisse et les muscles, avec pour parole finale : “Come !”. Comme un ultime râle ! On peut dire que Holly a mis la barre très haut.

 

 

Et conclure que Jimmy le gentil a réussi ce que Holly le démon au visage d’ange ne cherche même pas, à savoir provoquer l’empathie, voire l’identification.

 

 

Boy George

Né la même année 1961, durant le même mois de juin et dans la même Working Class que Somerville, George O’Dowd est un Londonien d’ascendance irlandaise. Après un détour par les nombreux squats aux alentours de Warren Street dans le centre-ville, O’Dowd devient Boy George, créature fortement inspirée du Glam Rock et des extravagances de David Bowie ainsi que des Nouveaux Romantiques.

 

 

Avec un style vestimentaire qui ne passe pas inaperçu, même à Londres. Après avoir tenté de se greffer à plusieurs groupes musicaux, Boy George décide finalement de créer son propre groupe avec des amis rencontrés de-ci de-là. Le groupe d’inspiration New Wave, Les Sex Gang Children est né, il sera rebaptisé rapidement Culture Club en référence aux différentes origines ethniques de ses membres.

 

Leur premier album Kissing to be Clever sort en 1982, et le single Do you really want to hurt me qui en est le troisième extrait devient instantanément un tube mondial, plaçant le chanteur en orbite médiatique mondiale. Là encore, le pouvoir de l’image fonctionne à plein. Le clip, réalisé par Julien Temple, offre à voir un Boy George en dreadlocks et maquillage outrancier en plein tribunal.

 

 

 

 

 

Il s’agit ni plus ni moins que son propre procès. Son mode de vie est en accusation, le chanteur se défend en chanson et en déhanchés sur un mélange de sons pop et de rythmes reggae.

 

 

Les paroles manquent de pronoms sexués, ce qui rend le récit plus accessible aux auditeurs gays. La vidéo pointe cependant vers une interprétation lyrique plus large : la société dans son ensemble maltraite Boy George à cause de la façon dont il s’exprime et, implicitement, parce qu’il est gay.

 

 

Nous sommes en 1982, autant vous dire que c’était du jamais vu ! Illico presto, les spéculations sur la sexualité du personnage fusent. Dès 1983, lors d’une interview où on lui demande de but en blanc s’il préfère les hommes où les femmes, il répond : Oh, les deux !

Quand on prend conscience que Relax et Holly Johnson ont fait scandale la même année, on peut presque comprendre comment l’arrivée du gentil Jimmy l’année d’après passa comme une lettre à la poste. En tous les cas les trois avaient pour point commun de savoir faire de la musique, et surtout d’avoir des choses à dire, par leurs paroles de chanson autant que par leurs vêtements, leur façon d’être et finalement leur façon de militer.

 

 

Et Maggie dans tout ça ?

Je sens que vous vous posez cette question, comme je ressens votre inquiétude. Je pourrais vous apaiser et vous dire que cette conservatrice qui se pensait moderne sauta sur l’occasion pour embrasser la cause Gay, qu’elle fit des pieds et des mains auprès d’Elizabeth II pour anoblir promptement ces trois nouveaux piliers de la cause gay britannique, mais je vous sais plus perspicaces.

 

 

En fait, horrifiée par l’activisme des groupes gay et lesbiens en plein essor depuis la dépénalisation de l’homosexualité en 1967, traumatisée jusqu’au tréfonds par la morale en péril face à la multiplication de gens du même acabit que les trois énergumènes dont je viens de vous parler, Maggie l’outragée se rebiffa.

 

 

 

Elle fit voter en 1988 l’article 28 de l’acte de gouvernement local. Un simple amendement. Un article limpide. Interdiction de toute forme de promotion de l’homosexualité, dans les médias comme à l’école, dans la musique comme à l’université. En somme, partout ! Objectif affiché : préserver les enfants.

 

Voilà comment Maggie réinventa la police de la pensée et devint ainsi le précurseur de Viktor Orban en Hongrie et de Vladimir Poutine en Russie. Une sacrée lignée, pour un bel héritage. Vous comprendrez aisément qu’à sa mort, les Gays britanniques n’ont pas beaucoup pleurer.

 

 

La chanson “Ding Dong ! The witch is dead” tirée du Magicien d’Oz est même redevenue un tube sur internet à l’occasion. De mauvaises langues se sont alors répandues dans les médias en soupçonnant très fortement l’initiative de quelques homosexuels derrière tout ça ! Des langues assurément très vilaines, n’en doutons pas.

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