La pornographie selon Jean-Noël René Clair, dit JNRC
Après 80 films, Jean-Noël René Clair est arrêté le 12 mai 2010 à Plovdiv en Bulgarie, soit disant en plein tournage.
Il est condamné quatre mois plus tard à un an de prison avec sursis pour proxénétisme. Il pouvait encourir jusqu’à dix ans. Le soulagement est à la hauteur des inquiétudes et du stress éprouvés. En attendant le jugement et la libération, Jean-Noël René Clair aura expérimenté la prison bulgare et son témoignage vaut le détour. Mais avant toute chose, peut-être ignorez-vous qui est Jean-Noël René Clair, dit JNRC ? Avant que la Bulgarie n’entrave sa carrière, il était l’un des plus importants réalisateurs de films porno gay français.
Selon un portrait de lui paru dans libération en 1996, “son truc à lui, [c’était] les garçons réputés hétéro placés dans des circonstances objectivement gay”. En résumé : un hétéro du sud ou typé des pays de l’est et un gay passif qui s’en occupe. Un schéma simple mais une recette à succès. JNRC est un homme qui peut se vanter d’avoir fait crisper des milliers de veuves poignet et d’avoir grandement aider ses contemporains à libérer quantité d’énergie.
JNRC, un univers apparemment vide
Il est toujours intéressant de lire les commentaires que l’on trouve sur internet. Sous les articles relatant la détention de Jean-Noël René Clair, ils sont souvent salés. Voici un petit patchwork, jugez plutôt : des “mecs clairement hétéros qui ne s’intéressent pas du tout au passif”, “qualité de l’éclairage pourrie”, “un côté exploitation de la misère un peu gênant”, “des films laids et puants”…. Vu ces commentaires, on en arrive presque à se dire que JNRC l’avait bien cherché, ce qui lui est arrivé ! Sauf que… si JNRC a tourné 80 films entre 1995 et 2010, c’est bien parce qu’il avait un public. Et si ce public lui est resté fidèle, c’est qu’il devait retrouver dans ses productions un univers familier qu’il appréciait.
On peut ne pas comprendre cette appréciation, mais il est plus difficile, une fois ce constat fait, de nier que JNRC avait bien un univers. Pour véritablement comprendre l’univers artistique de quelqu’un, il faut d’abord s’interroger sur ce qui n’en fait pas parti. Commençons par les couleurs. Le plus rapide serait de dire qu’il n’y en a pas. Ce qui est faux. Il n’y a pas certaines couleurs, c’est tout ! Il n’y pas de rose, par exemple. Pas de mauve non plus. On n’est pas dans le sucré ou dans la séduction délicate, ni dans le solaire ou l’euphorisant. Toute teinte relevant de ces significations sont absentes à l’image.
Les éclairages ne font d’ailleurs pas dans la douceur : pas de diffuseur, orientation basique des sources lumineuses et des ombres assez marquées. Les productions JNRC ne vendent ni du mièvre, ni de l’enchanté. Les modèles ont, quant à eux, tous la même expression : celle du type lambda qui est là pour bosser. Pas de regards lascifs, pas d’étincelle dans les yeux et pas de moues érotisantes, donc pas de grands sourires ultra-brites et enjôleurs à l’américaine. Pas de coupes brushing, pas de sourcils épilés ni de piercings fashion. Pas de décors du genre chambrette de cottage anglais ou chambre d’hôtel aux meubles designs. Pas de fenêtre avec vue champêtre sur la verdure ou vue sur la plage ou sur un quelconque lagon. Absolument pas. Que dalle ! Mais qu’y a-t-il alors, bon sang ? êtes vous en droit de vous demander les mains sur les hanches !
JNRC, un univers très coloré
Cela peut paraître surprenant mais les films des productions JNRC débordent pourtant de couleurs. Le décor est certes très spartiate, mais il existe bel et bien.
Une banquette, un tapis, un lit à même le sol ou un banc de musculation. Nul besoin de plus de fioritures pour signifier que quelqu’un va finir couché ! La décoration est minimaliste et renvoie au masculin mais les couleurs sont déjà omniprésentes. Des fonds noirs, des draps beiges foncés ou gris.
La dominante chromatique est froide : du kaki militaire, des bâches de camouflage, un vert terne. On est dans le rugueux, le primitif. Le marron est aussi très présent. Il est neutre, terre à terre. Ces deux couleurs réunies diffusent l’idée d’une force naturelle, d’une virilité dénuée de toute sophistication. Il y a aussi de la couleur chez les modèles. Il y a du bronzé, du basané, du mât de peau. Les productions typées du sud exploitent à fond le stéréotype du gitan physique, du maghrébin chaud lapin et du grand noir viril. Au cas où vous n’auriez pas compris, le vrai décor, c’est le modèle ! Il y a du poil, du velu et du crépu. Du brut, du vrai. Ce modèle est mis en valeur par le passif de la scène. A lui de démontrer par l’exemple la solidité d’un turc à la gueule de brute. Pour les productions typées du nord, les regards sont fixes et les attitudes sont volontaires et sans sensibilité. Les peaux blanches ne sont pas maquillées, les torses et les muscles sont fermes et ne semblent pas sortir d’une salle de gym. Le stéréotype de l’évadé du goulag ou du soldat en permission de l’armée rouge est largement utilisé. Ce qui nous amène aux costumes. Si, si, ils sont bien là ! Il faut des bérets, des treillis, des rangers ou alors des jeans cheap, des baskets et des blousons qui font sortis du bled. La casquette est essentielle, du moment qu’elle est noire ou sport. L’autre grand modèle de costumes des films JNRC est la tenue de foot. La plus standard possible, avec les grandes chaussettes, les crampons et le maillot. Il faut le ballon aussi, ça ne ferait pas foot sinon. Le survêtement a droit de citer, mais le short est mieux, il dévoile les poils des jambes, vous comprenez… La tenue de sport, comme les jeans et certains fonds ont droit à l’autre couleur importante des productions JNRC : le bleu. Le bleu, ce n’est pas froid, c’est rafraîchissant. C’est calme, c’est rassurant. Ça inspire la confiance et pousse à l’abandon. L’abandon de quoi ? vous demandez-vous. L’abandon de qui ? plutôt. L’abandon du passif du film, évidement. Celui qui permet à celui qui regarde la scène de s’identifier, d’apprécier la puissance sans chichi. Le modèle étant présenté comme hétéro, l’imaginaire est sollicité et il fonctionne à plein. Il serait gâché si le modèle souriait et embrassait langoureusement le passif sous la visière d’une casquette de plage. Chez JNRC, l’actif besogne parfois sans même regarder le passif. C’est le passif qui l’oriente et qui mène la scène. Le modèle n’est là que pour ce qu’il dégage : virilité, naturel et un exotisme brut, un peu sauvage. Le bleu suggère tout ça. Le bleu, c’est masculin. C’est fiable, solide, et ça ne vous lâchera pas en cours de route. Regardez le fantasme du gendarme et de sa matraque.
JNRC, un univers au service du sexe
Quel est l’objectif d’un réalisateur de films pornographiques. Produire une fiction à caractère sexuel qui emporte l’adhésion du voyeur. Celui-ci doit être guidé dès le début. Son intérêt doit être suscité et son visionnage doit être mené jusqu’au terme de la scène grâce à un montage resserré et à un rythme maîtrisé. Les artifices sont connus et éternels : cadrage, lumières et accessoires. Le tout au service d’une ambiance. Les commentaires négatifs sur les productions JNRC sont légions et les adjectifs qui en ressortent sont violents et crus : “glauque, pourri, sale, laid, puant, gênant… “. C’est pourtant justement ces adjectifs mis bout à bout et tous accolés au mot sexe et à l’aspect “sans état d’âme” qui définissent le mieux l’ambiance hautement lubrique et vicelarde de ces productions. Le voyeurisme provoque toujours une gêne hautement stimulante mais également une fascination très excitante. Ces deux éléments sont renforcés par la certitude de l’anonymat de celui qui voit. Il est cependant du rôle de celui qui voit de définir si ce qu’il regarde est de la fiction ou de la réalité. Pour terminer et en revenir aux couleurs, deux couleurs sortent du lot et de la chromatique froide et primitive de ces films. Il y a le rouge. Une couleur bien chaude dont je vous laisse deviner la signification. Et la tonalité orange des éclairages. Des éclairages qui pourraient être blancs et blafards comme des néons dénués de toutes sensualité. Entre le chaud et le froid, cette couleur orangée est très importante et elle est souvent utilisée par Jean-Noël René Clair.
Elle symbolise l’amitié, l’attention, une certaine complicité. Il y a beau avoir ce côté rustre et mécanique dans chaque scène, l’évidence ressort quand même : tous les protagonistes sont consentants, il n’est à aucun moment question de viol ici. Cette tonalité orange des lumières qui adoucit l’atmosphère générale donne de la chaleur et une certaine sensibilité. Vu l’intérêt que Jean-Noël René Clair accordait aux détails, je doute que ce choix ne soit que pur hasard.
Et si au final, le voyeur, tout hypnotisé qu’il est par ce qu’il voit, se lâche avec cette impression un peu gênante de s’être lâché sur du sexe brute, un peu glauque, un peu cheap, mais avec un petit goût de revenez-y, c’est que JNRC ne devait pas être un réalisateur si cheap que ça.
ça ne fait pas rêver mais bon ce n’est pas le but !! merci pour la découverte en tous cas !!!
Merci à toi de m’avoir lu.
avec grand plaisir !
Je ne connaissais pas JRNC mais ton article donne envie (surtout les commentaires négatifs !)
Merci. C’est à voir, effectivement.