Parlons nudité en public. Comme je vous imagine déjà un brin émoustillé, je vais vous refroidir tout de suite. Je veux parler de naturisme en Allemagne au tournant du vingtième siècle. Ce que l’on a appelé la Freikörperkultur, Free body culture ou encore la culture du corps libre.
Pour commencer, je pourrais vous parler du corps des femmes qui devaient être couvert quasi entièrement et qui devaient se baigner, non pas en maillot ou en bikini mais en tenue. Je pourrais ensuite et par le menu vous décrire ces improbables tenues épaisses et noires avec leur jupette mode et leur collant opaque. Je pourrais même pousser le vice jusqu’à vous expliquer en quoi la Freikörperkultur a contribuer à libérer le corps de la femme, plus encore que l’abolition du corset et l’invention du soutien-gorge réunies.
Mais comme je ne m’y suis absolument pas intéressé, même ne serait-ce qu’une seconde, je guide volontiers les volontaires ou les téméraires vers Google pour m’alléger l’esprit et me recentrer sur mon sujet principal et autrement plus instructif et amusant : l’homme naturiste en Allemagne et les conséquences sur l’utilisation artistique du corps masculin nu qui s’en suivit.
Si j’ai toujours votre attention, sachez que sous l’empereur Guillaume II (1859 – 1941), sexualité et nudité étaient tabous. Seule la nudité artistique était tolérée. Surtout la nudité féminine, à vrai dire. Là encore, pour commencer, je pourrais vous dire que… à l’époque… les femmes … mais je ne vais pas refaire mon speech.
Disons seulement qu’à l’époque, donc, la révolution industrielle a eu les mêmes conséquences qu’ailleurs en Europe : exode rural massif, surpopulation urbaine, croissance exponentielle de l’industrie manufacturière et de la pollution qui va avec, entassement de familles dans des logements étroits, atmosphère suffocante, insalubrité de quartiers entiers, maladie, criminalité et la mort, omniprésente.
La société allemande était donc mûre et les oreilles grandes ouvertes pour entendre et comprendre le besoin d’air et de soleil, l’urgence du retour à la nature pour faire respirer la peau : le naturisme était né.
Naissance que symboliseront à la perfection trois œuvres qui feront date.
Première œuvre. Rien qu’avec le titre, tout est dit ! « Prière à la lumière » en 1894 du peintre Fidus, pseudonyme de Hugo Höppener (1868 – 1948) fait sensation dans l’Allemagne impériale.
Fidus, artiste bohème et figure de l’Art nouveau n’est pas un inconnu pour ses contemporains. Bien au contraire, il est un « people », une vraie célébrité. Rien de moins que l’égérie d’un mouvement néo-paganiste germanique radical et illuminé prônant l’absence de distinction entre le sacré et le profane.
Fidus était aussi connu et reconnu comme le fidèle disciple du peintre Karl Wilhelm Diefenbach (1851 – 1913) qui avait pour habitude de se retirer régulièrement sur les rives de l’Isar avec ses élèves pour y vivre en costume d’Adam la « Réforme de la vie ». Tout un programme qui les mena illico en tôle pour débauche, le maître comme le disciple. Petite info supplémentaire : Höppener, dit Fidus, contribuera ensuite souvent à Der Eigene, première publication homosexuelle en allemand de son histoire.
Petit plus qui donne à l’œuvre une saveur un poil plus spicy. Autant dire que cette œuvre précise d’un artiste de ce calibre là ne pouvait qu’horrifier les mémés et choquer les bonnes âmes. Exactement ce qu’il fallait pour en faire de fait une représentation quasi-religieuse de la culture du corps nu pour des adeptes de plus en plus nombreux et qui n’attendaient que ça. Le naturisme avait trouvé son icône.
Un ange devant son créateur ? Un jeune homme ou un enfant ? Une figure androgyne se tenant toute raide devant son créateur comme un sexe en érection ? L’histoire ne dit pas si Fidus se représenta lui-même ou s’il s’agissait d’une représentation idéalisée de l’Homme nu avec le grand H de l’universalité mais une analyse, même grossière, révèle deux-trois points qui à première vue semblent presque négligeables : l’Homme nu avec le grand H n’est, selon Fidus, ni petit (pas de nain), ni gros (pas de bourrelet), ni roux, ni chauve, ni noir, ni tout un tas de trucs somme toute assez courants chez tout un tas de gars.
C’est important car l’Homme nu peint ici est plus qu’un homme, il est un presque-dieu. Les bras au ciel, il accueille le soleil de tout son être. Non pas parce qu’il caille mais parce qu’il communie. Ce tableau évoque une fusion teintée d’érotisme et de religion. L’Homme s’offre au soleil dans toute sa nudité originelle. En retour, le soleil écarte les nuages et étreint ce corps qui l’appelle des deux mains.
Évidement ce corps est idéal. Le même tableau avec Coluche donnerait une sensation tout à fait différente. Imaginez le maintenant avec Mimi Mathi ! Pour Fidus et pour les mouvements naturistes allemands qui en firent leur symbole, ce corps imberbe est pur et parfait, même de dos. Il est grand, il est sain. Ses cheveux blonds volent au vent. La nature et les éléments sont de son côté. Tout est équilibre, tout est sérénité. Son promontoire rappelle le sommet de l’Olympe, décrit par Homère comme un lieu au dessus du commun des mortels, isolé du bruit. Le mont Olympe ou le jardin secret à hauteur des nuages, au dessus des intempéries, au plus près des Dieux.
Deuxième œuvre. Hans Surén (1885 – 1972) est un nom qui ne vous dit peut-être rien, il fut pourtant très populaire. Peut être même plus encore que Fidus en son jeune temps.
Son livre de photographies « Mensch und Sonne » sortit en librairie en 1924 et fit sensation. La publication consiste en une succession de photographies d’hommes et de femmes dans le plus simple appareil et dans des poses de gymnastique ou de yoga étudiées.
Si le livre fit tant de bruit, c’est d’une part parce que les livres photos de nu n’étaient franchement pas légion et que l’odeur de souffre à toujours été une bonne alliée des commerçants pour attirer le chaland, mais surtout, d’autre part, le succès venait également du fait que cette publication vantant le sport et la nudité venait d’un officier allemand et non d’un quelconque hippie avant l’heure. Fini le néo-paganisme extatique et bohème. Plus question de se retirer où que ce soit pour gambader à poil entre peintres et autres artistes.
Fini le champêtre. Surén utilise la passion désormais bien établie des allemands pour le nu en plein air pour promouvoir l’ordre, la santé, la force et la beauté du corps nu dans la beauté de la nature germanique. Cette promotion du nu par un officier remplace l’érotisme et le naturel de l’éphèbe de Fidus par une vision sportive et militaire. Sur le portrait photo de Surén en deuxième de couverture, on y retrouve pourtant encore le corps imberbe. On l’imagine très volontiers grand et sain. Ses cheveux sont effectivement blonds comme l’icône de Fidus, mais volent-ils encore au vent ?
L’équilibre et la sérénité sont bien mis en scène et clairement affichés mais le port de tête guindé, la mâchoire serrée et le regard dur et fier éloignent d’un chouia l’impression de voir un ange priant la lumière comme une verge en érection. Le livre de Surén est avant tout un guide. Avec celui-ci, on passe de l’androgyne blond en tenue de naissance s’offrant à son créateur en toute candeur, au corps nu et sculpté mêlant esthétique et hygiène, offrant un symbole germanique blond et le fantasme de l’homme supérieur à tout un chacun.
Troisième œuvre. Pour Surén, santé, force et beauté étaient plus que nécessaires, ils étaient obligatoires.
Vous exposer à poil quand vous aviez le mauvais goût d’être souffreteux, gros ou moche, voire les trois, revenait à faire honte à la nature, au soleil et n’en doutons pas, à l’Allemagne toute entière. L’ange naturiste blond et musclé de Fidus se soumettait au soleil. Le blond et musclé Surèn mettait son sportif nu à égalité avec celui-ci (Mensch und Sonne).
Sous Hitler, Leni Riefenstahl le supprima carrément. D’ailleurs à côté d’Hitler, pouvait-il exister un autre soleil ? Avec Riefenstahl, l’Homme devint un Dieu et le stade, son royaume. Deux ans à peine après son documentaire de propagande au titre aussi morveux qu’hyper culpabilisant : « Le Triomphe de la Volonté », elle impose un idéal athlétique plein de sous entendus militaires en filmant les jeux olympiques de Berlin sur une musique de péplum afin d’y montrer, attention cramponnez-vous, « l’Éternelle aspiration des hommes vers la perfection » (Les Dieux du stade – Olympia 1936). Surén et son idéalisation du sport nu en photo n’était qu’un touche pipi à côté de celle qui exigea des moyens exceptionnels pour réaliser son œuvre novatrice.
Une équipe de 300 personnes dont 40 cameramen, des angles inédits, des ralentis et autres mouvements de caméra expérimentaux qui contribuèrent à faire du sport et du corps les éléments phares de la propagande du régime nazi. La même année, probablement piqué au vif, Surén révisa son guide afin d’y inclure quelques délires raciaux et de nombreuses citations tirées de Mein Kampf, l’œuvre de toutes les œuvres du grand nouveau gourou solaire. Son intuition fut saluée et son guide, instantanément recommandé par l’Office de la police raciale se vendit par milliers. Quant à l’ange de Fidus et son message, son ode à l’équilibre et sa prière sur l’Olympe ? Joseph Goebbels, le ministre en charge de la culture et de la propagande du troisième Reich l’intégra sans discussion dans le tout nouveau mouvement artistique en vogue à l’appellation typiquement nazi : l’Art dégénéré. Dans le catalogue de l’exposition du même nom en 1937, l’univers champêtre et idéal de Fidus était décrit comme suit :
« Tout ce qui apparaît, d’une façon ou d’une autre, comme pathologique, est à éliminer. Une figure de valeur, pleine de santé, même si, racialement, elle n’est pas purement germanique, sert bien mieux notre but que les purs Germains à moitié affamés, hystériques et occultistes de Maître Fidus ».
Pour résumer très grossièrement, Leni Riefenstahl s’inspire de la culture du corps nu et libre dans la nature du début du XXème siècle.
Elle ajoute ensuite aux notions d’hygiène et de corps sculpté des années vingts une sur-valorisation de la performance et de l’esprit de compète. Le corps comme propagande en quelque sorte. Un idéal de corps masculin largement caractérisé par le racisme. Un racisme frontal et violent, enveloppé dans un gros paquet cadeau de kitsch Olympien, de jeunesse éternelle et de beauté forcément divine.
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commentaires
bel article très bien construit, bravo David !
merci beaucoup. J'aime aussi beaucoup ce que fait.
je trouve ce site par hazard en étant sur "la case des hommes". cet article est le premier que je lis. j'ai souvent travaillé en allemagne dans ma jeunesse, et je vais aux plages naturiste. cet article est très bon, bien documenté, bonne connaissance de la culture germanique ! merci.
Merci beaucoup
Super l’ouverture super sur le corps nue des mecs bien sculptés
Merci pour le commentaire. David