Quand l’homoérotisme de la toile suggère les obsessions fessières du peintre
En tableau ou en photo, l’homoérotisme, qu’est-ce ?
La différence entre un tableau et une photographie tient moins à l’imaginaire de l’artiste qu’au temps nécessaire qu’il a fallut à ce dernier pour voir son œuvre terminée.
Si on prend pour exemple l’homoérotisme comme thématique, le tableau comme la photographie ont bien pour objectif commun la stimulation d’un irréel sensoriel, une allusion au sexe chez celui qui regarde. Pourtant les deux œuvres, tableau comme photo, restent des objets très concrets. Des objets qui sont le résultat matériel d’une projection mentale : ce qu’il y avait dans la tête de l’artiste ! Une rêverie homoérotique rendue réelle à l’aide d’outils comme l’appareil photo ou une palette et des pinceaux. Avant d’aller plus loin, il faut bien-sûr s’entendre sur ce qu’on appelle l’homoérotisme.
Pour ce qui est de la photographie homoérotique, on peut dire sans vexer personne qu’elle ne comprend pas : 1, les selfies la queue en l’air pris dans le miroir d’une salle de bain. 2, les photos de fesses écartées à visées commerciales incitant à cliquer sur de la vidéo porno. Et 3, encore moins une photo exhib en position graveleuse, les yeux ronds et rougis par la violence du flash. Rien de tout ça. La vraie photographie homoérotique suppose un travail sur les ombres et la lumière, une réflexion portée aux couleurs, aux contrastes et à l’ambiance. Elle se base sur un modèle qui pose, une composition tout autour, un sens de la lecture et un message unique : éveiller le désir du corps masculin de façon esthétique mais toujours suggestive. La photographie, pour en finir, prend donc un temps certain. Mais bien moins long cependant que la création d’un tableau homoérotique, au message sensoriel pourtant similaire.
Je vous propose d’étudier, en partie, l’œuvre de Steve Walker qui, au fil de ses rares écrits, a pu donner à entrevoir tout le côté charnel qu’il y avait à s’attarder, le pinceau à la main, à façonner des formes masculines jusqu’à obtenir la satisfaction d’avoir pleinement rendu ce qu’il avait en tête, dans les moindres détails et jusqu’à la perfection.
Steve Walker, un talent et un imaginaire
Steve Walker est décédé en 2012 d’une crise cardiaque, à 51 ans. Donc de façon soudaine et inattendue, comme vous pouvez l’imaginer. Son œuvre consiste en une série de tableaux. Mais pour comprendre l’univers de Steve Walker, il faut d’abord le lire.
Pour son calendrier « Still Lives » de 2004, il avait écrit une note où il se présentait sommairement comme un canadien de Toronto qui trouvait ses modèles sur place. Des modèles de tous horizons, la plupart sans expérience, qu’il dirigeait comme un metteur en scène. Autrement dit, ses tableaux se basaient avant tout sur une mise en scène étudiée où les modèles prenaient la pose. Peut-être pour une photo avant le travail sur la toile comme le faisaient déjà d’autres peintres avant lui, comme le faisait par exemple Thomas Eakins dès la fin du 19ème siècle.
Pour ce qui est de l’imaginaire derrière ses compositions, ce qu’en disait Steve Walker reste aussi vague que ce que disent de leurs œuvres nombre de créatifs.
À savoir un imaginaire enrichi d’expériences personnelles comme de considérations subjectives sur le monde et sur la vie. Une constance dans l’emmagasinement d’idées, l’accumulation d’esquisses, de croquis, de notes… et du temps pour le tri, pour l’inspiration. Surtout de la flexibilité, partir d’une ébauche pour finir sur tout autre chose, à force de révélations, de trouvailles et d’envie d’innovation. En bref, quelque chose d’éternellement indéfinissable, qui pourtant suscite depuis des siècles la curiosité scientifique de ceux qui rêvent de disséquer ce qu’ils n’ont désespérément pas : le don de l’imagination et un talent créatif pour en faire quelque chose de réellement artistique.
Du bleu, du blanc… pour un univers tout rose
Si les voies de l’imaginaire restent impénétrables, les œuvres demeurent matérielles et une vue d’ensemble permet dans un premier temps d’avoir une idée de l’univers et des rêveries de Steve Walker.
De ses peintures à l’acrylique faites de centaines de coups de pinceau de toutes sortes de pinceaux différents, les couleurs dominantes restent le blanc et le bleu. Le blanc des t-shirts, des chemises et des draps. Le bleu des ciels, de l’océan ou des rideaux. Le blanc immaculé de la pureté et de la perfection. Le bleu, éternelle couleur des garçons.
Ces deux couleurs forment souvent le principal contraste de ce qui est mis en avant : le corps des modèles. Je dis bien le corps car celui qui regarde les tableaux serait bien en peine de déterminer des visages, retrouver des modèles ayant posé pour plusieurs tableaux ou même de trouver toute une variété de modèles différents.
Ce sont des corps d’hommes jeunes et bien bâtis, typiquement le profil bien américain élevé aux grains, comme on peut en voir dans toutes les productions télé et ciné américaines, y compris au Canada. Les chevelures sont brunes, sachant que Steve Walker était blond, le détail est important. De solides gaillards bruns, athlétiques et pas efféminés pour deux sous. L’univers bleu et blanc de Walker est viril avant tout. Pensez à Superman, au cow-boy Marlboro ou encore à Elvis. Le brun, ça fait davantage mâle. Et même si les tableaux ne les montrent pas, on ne peut qu’imaginer les yeux de braises qui vont avec. Autre chose, les cheveux bruns sont coupés courts et bien coiffés, même au sortir du lit. Les vêtements, quant à eux, sont ajustés. Il faut dire que les modèles ont tous la taille mannequin. Les jeans ne baillent pas, les chemises tombent pile poil et les sous-vêtements, dès qu’ils apparaissent, sont bien remplis, tout en restant sages et d’un blanc innocent éclatant.
Le monde de Walker est propre, les modèles sont standardisés, l’ensemble fait presque aseptisé. À l’américaine, vous disais-je ! En fait, plutôt l’Amérique WASP (white anglo-saxons protestant) que l’Amérique de Harlem. Les modèles sont tous blancs. Pas de redneck non plus (classe ouvrière), les modèles font très middle class. Les cravates en témoignent. Leur présence comme leurs couleurs, souvent orangés, tranchent toujours quand elles apparaissent. Leur fonction est unique. Les cravates forment le lien charnel entre deux modèles.
L’un dénouant celle de l’autre, comme après une dure journée de bureau. Pourtant, si la cravate évoque les retrouvailles, on est davantage dans l’affection que dans le prélude à des ébats fiévreux.
Pour finir, il fait presque toujours beau au pays des bruns WASP en bleu et blanc de Steve Walker. Il y a bien quelques nuages, bien blancs, par-ci, par là, mais le bleu des ciels rayonne. Les soleils couchants le font parfois virer au pourpre, voire aux tons pastels, mais l’atmosphère est toujours à l’harmonie, à l’équilibre. Il fait doux dans ce pays là, on nage dans le léger. On pourrait, si on voulait être un peu méchant, caricaturer cette virilité brune entre bleu et blanc façon Walker et dire qu’elle virerait presque au rose bonbon, tendance cul-cul la praline. Mais ouf ! Je ne suis pas méchant.
Steve Walker et l’homoérotisme
Un couple gay qui se promène sur une belle plage en fin de journée, un autre qui jardine sur une pelouse bien verte. Un couple gay avec enfant jouant au ballon lors d’un après-midi détente ou encore un autre, qui sirote un verre de vin un soir d’été tout en contemplant amoureusement un horizon forcément dégagé. Je vous entends de là vous demander les mains sur le hanches cette juste question : Quid de l’homoérotisme chez Walker ? Et bien, deux éléments évitent effectivement à toutes ces œuvres de sombrer dans la guimauve.
Le premier, c’est l’absence de communication entre les garçons des différents couples. L’affection est pourtant présente mais cette absence d’échanges, comme celle des visages est essentielle. Les personnages ne se regardent pas, ou l’un regarde l’autre qui regarde ailleurs. Sans compter le nombre important de personnages seuls.
Une solitude amplifiée par le bleu d’un vaste océan, d’un ciel dégagé ou d’un long chemin de bitume sans fin, un point de fuite vers le lointain. Chaque tableau est un appel à l’interprétation personnelle de celui qui le regarde. Vu qu’il n’y a pas d’échange, on peut y voir tout et son contraire, retrouver des aspects de la vie gay comme des métaphores sur l’homosexualité.
On y voit des couples comme on peut y voir des amis ou un coup d’un soir. Un retour de la plage en amoureux ou une rencontre sur un lieu de drague. Des retrouvailles après le bureau ou un plan à la sauvette entre businessmen. Un couple d’hommes avec enfant, ou un homme avec son fils et l’autre homme qui partage sa vie depuis son coming-out, peut être même deux tontons qui joue les nounous pour le petit neveu. Les modèles ne sont pas simplement posés là, au hasard. Chaque position, chaque regard, évoque une multitude d’interprétations. Exposer chez soi une toile de Walker est la garantie de discussions infinies sur la ou les significations possibles. Voilà qui sort de la guimauve et donne du contenu à toutes ces œuvres, mais « Quid de l’homoérotisme ? » me répéteriez-vous, impatient !
L’érotisme des belles fesses
L’homoérotisme version Steve Walker se trouve dans le deuxième élément qui contribue à sortir chacun de ses tableaux du simplisme apparent. Certes, il y a l’érotisme des épaules, des paires de jambes, des dos musclés, etc… Certes, il y a des marques d’affection, de la sensualité dans les positions des corps, des sous-entendus dans les interactions, etc… mais surtout, surtout il y a des fesses !
Il suffit de regarder une série des tableaux de Walker pour s’en rendre compte. L’essence même de l’homoérotisme qui se dégage vient de là. Les tableaux seraient plus candides sans ce côté postérieure de la sexualité gay.
Moulé dans des jeans ajustés, dans des maillots de bain, dans des sous-vêtements comme dans des caleçons : les fesses sont reines. Elles sont Le sujet en filigrane, elles attirent l’œil. Beaucoup de modèles sont peints (j’allais dire pris…) de dos, soit en pieds, soit assis, voire très souvent accroupis. Cependant, malgré cette représentation souvent « par derrière » des modèles, ces derniers ne font que suggérer cette partie de leur anatomie plus qu’ils ne la montrent.
Mais toute l’attention portée à la chute de reins, aux plis du vêtement, à la naissance des fesses qui se laisse deviner comme aux poches rebondies des jeans ou au tissus tendu des maillots de bain fait sans aucun doute écho à l’intérêt particulier que montrent beaucoup de gays à envisager tout bel homme qui passe d’abord sous cet angle là !
Contrairement au photographe qui ne fait que retoucher en post-prod l’existant sur son fichier RAW, le peintre dessine, modèle et façonne jusqu’à ce que le résultat lui plaise. Walker choisit donc souvent de s’attarder sur cet angle de vue précis, de s’attarder, pinceau à la main à en dessiner chaque contour. La perfection qu’il met dans ces détails nous oblige à regarder ces beaux bruns, virils et proprets en envisageant leur fessier. Des fessiers jamais vulgaires, jamais outranciers mais toujours agréables à regarder, voire attrayants. En tout cas, des fessiers peints de manière suffisamment appétissante pour éveiller chez celui qui les regarde en grand gourmet, cet imaginaire sensoriel 100 % homosexuel où un beau fessier bombé abrite toujours la cible de toutes les convoitises. Un point de mire suggéré comme il faut, derrière des vêtements bien moulants et des positions affriolantes. L’œuvre de Walker, c’est aussi ça, un homoérotisme pur et réaliste, un homoérotisme de connaisseur et qui ne s’excuse pas.
Tous les personnages sont de vus de dos, on comprend vite la fixation du peintre et, au bout de quatre ou cinq tableaux (merci d’en montrer tant) on ressent une certaine lassitude.
Au fait, je crois bien avoir vu un tableau avec deux noirs.
Mais pas de mélange.