Qui n’a pas, à un moment ou à un autre, eu une lecture imparfaite d’une actualité et une mauvaise appréciation de la suite des événements. On a beau être gay et connaître son sujet, il est des fois où le jugement s’enraye. Voici un petit échantillon de trois citations d’homosexuels célèbres qui ont toutes eu le point commun ultérieur de se révéler être largement à côté de la plaque. À méditer.
« C’est un jardin extraordinaire » – Charles Trenet – 1957
Commençons par du léger, du mignonnet tendre comme du coton. « C’est un jardin extraordinaire » est en fait la première ligne du couplet de la célèbre chanson du grand Charles.
Le tout se termine étendu » sur la verte bruyère » sur une moelleuse couchette au fond des bois où Charles se propose de « jouer du luth »… En grand coquin, Trenet affirmera s’être inspiré du jardin des plantes. Une autre lecture des paroles couplée à une meilleure connaissance de la vie privée de l’artiste font plutôt pencher pour le jardin des tuileries, haut lieu de drague homosexuelle et de consommation sur le tas de ces années là. Trois ans plus tard, le 18 juillet 1960, l’assemblée nationale adopte l’amendement Mirguet, du nom du député UNR de la Moselle.
Cet amendement classera l’homosexualité au rang de fléau social, au même titre que l’alcoolisme, la tuberculose ou la toxicomanie. Il impulsera la suppression des vespasiennes et accentuera la répression policière visant à nettoyer les parcs et jardins, perçus comme des lieux de vice et d’outrage à la pudeur où les enfants sont en danger. Homosexualité, lubricité et pédophilie mélangées : le jardin extraordinaire version Mirguet, en quelque sorte. Ironie de la vie, l’assemblée nationale est presque en face du jardin des tuileries. Bizarrement, Charles n’en parle même pas !
« Le milieu homophile s’est engouffré dans la voie du vice et de l’irresponsabilité, épuisant à jamais les efforts de bonnes présentation » – André Baudry – 1982
En 1971, André Baudry est un pape pour tous ses fidèles. Son association porte le joli nom d’Arcadie. Un nom à la fois onirique et antique, au parfum de paradis. Arcadie comme un beau jardin extraordinaire à la Baudry. Un jardin dont il est, lui seul, l’unique et grand prophète. Un prophète autoritaire un brin dévot mais un prophète militant également. Baudry lutte d’arrache-pied contre l’amendement Mirguet, il s’est même adressé au député en personne. Son objectif depuis les années 50 n’a pas changé d’un iota : faire de l’homosexualité, qu’il appelle sirupeusement « homophilie », un mode de vie honorable, toléré et respectable.
En 1971, il y est presque. Arcadie, tel le soleil de l’Éden, rayonne sur l’ensemble du territoire hexagonale, d’abord par sa revue mensuelle qui compte des milliers d’abonnés, ensuite par ses soirées entre homophiles, toujours très courues. La même année 71, en mars, la journaliste Ménie Grégoire lance en direct sur RTL « L’homosexualité, ce douloureux problème » comme titre de son émission du jour. Sur le plateau, des psychanalystes, des prêtres, des autorités morales et même Les Frères Jacques. Dans la salle Pleyel, une audience bourrée à craquer.
Tout autour, une France à l’écoute d’une Ménie Grégoire ultra souriante qui promet « une discussion absolument passionnée et passionnante ». Et Ménie était bien dans le vrai. Le programme passionnant est saboté dix minutes plus tard dans un bordel de cris du genre : « C’est pas vrai, on ne souffre pas ! » ou encore « les travelos avec nous ! ». Moins guillerette, Ménie se rend vite compte que la passion déborde.
« La foule a envahi la tribune » constate-t-elle, il y a « des homosexuels de tout ordre, hommes et femmes ! ». Submergée, Ménie se noie en direct. Cette noyade sera l’acte de naissance du FAHR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire. Une jeunesse impatiente et bruyante souvent issue d’Arcadie et qui contraindra Baudry à accepter la création d’un groupe autonome de jeunes au sein de l’association. Ce sera un grand succès pour le militantisme.
Le FAHR y prendra son essor, puis naîtra le CUARH, pour Comité d’Urgence Anti-Répression Homosexuelle. Les deux feront entrer la cause homosexuelle dans les années 80.
Pourtant André Baudry n’y verra que du vice et l’inconséquente irresponsabilité de jeunes merdeux qui en plus se revendiquent vulgairement pédés et gouines, à des millions de kilomètres de sa conception de bonne présentation sociale, discrète et chaste. Il fermera la boutique Arcadie en 1982, en colère et sur un coup de tête.
« Un cancer qui toucherait exclusivement le homos […] ce serait trop beau pour être vrai ». Michel Foucault – 1981
En 1981, des rumeurs atteignent la France comme autant de teasers d’un nouveau blockbuster catastrophe Hollywoodien : Cancer gay, panique à New York ! En mars 1982, le journal télévisé de 20 heures de Christine Ockrent lui consacre tout un reportage. C’est une première. Des groupes de chercheurs sont au travail. On navigue à vue. D’où vient-il ? Peut être une drogue. Ce cancer touche surtout des homosexuels. Le sexe anal est en cause. Un « Cancer gay ». Pas de cure.
Une mort douloureuse. Des médecins commencent à parler de SIDA. Au Texas, des religieux parlent déjà de châtiment divin. Attention, la France vient d’être touchée, des homosexuels français hospitalisés… La réaction du milieu gay national de l’époque : d’abord la stupeur, l’attentisme tous azimut, puis un grand fou rire. « Le virus de la peur est bien plus pernicieux que le Sida lui même » tempérera Hugo Marsan dans son éditorial de Gai Pied Hebdo dont il est alors le rédacteur en chef. Pour beaucoup de gays lambda, le cancer gay n’est qu’une invention de la CIA pour les empêcher de baiser ! D’ailleurs en 1984, la revue homosexuelle Masques s’agace : « Mieux vaut mourir du sida que d’ennui » ! Tel le gay berlinois des années trente face à la montée du nazisme, l’éclat de rire évaporé est l’arme létale du gay parisien des eighties.
Les films catastrophes hollywoodiens, tout le monde en a soupé. Tout le monde se souvient du « Syndrôme Chinois » avec Jane Fonda (James Bridges – 1979), de « Tremblement de terre » (Mark Robson – 1974) ou de « L’Aventure du Poseïdon » (Ronald Neame – 1972). Les années 80 sont passées à E.T (Steven Spielberg – 1982) et à « L’histoire sans fin » (Wolfgang Peterson – 1984).
Le FAHR a tué l’homophilie à la papa d’André Baudry, le quartier du Marais prend son essor et Frankie goes to Hollywood est dans toutes les têtes et en boucle sur toutes les pistes de danse avec ce mot d’ordre à prendre dans tous les sens du terme : « Relax » (1984). La vie devient enfin un rêve. Du moins en prend-elle le chemin.
« Il faut s’acharner à être gay » avait averti le philosophe Michel Foucault dès 1982. En fait, personne ne connaît la maladie de façon concrète. Le tragique est que Michel Foucault en sera l’une des premières victimes en juin 84. Au départ, c’était une simple toux.
Sa mort quelques mois plus tard sera la véritable catastrophe. L’un des moments « où quelque chose bascule », dira en 1996 Daniel Defert, son compagnon. Les malentendus, les mensonges, les errements du monde médical, les hypocrisies du pouvoir politique autour de ce décès formeront la chape solide sur laquelle sera fondée l’association Aides en décembre de la même année. Une association fondée par l’endeuillé Daniel Defert lui-même. C’est à partir de ce deuil qu’une lutte va s’engager et bouleverser le paysage, non seulement de l’épidémie de VIH en France, mais aussi celui de la santé.
Des années après, en se remémorant les premiers militants enjoués, Daniel Defert donnera un aperçu glaçant de la fin d’une époque et de la violence du souffle encore en gestation qui la balaiera : « La majorité des gens, je crois, devaient penser qu’ils n’étaient pas atteints. Et c’est rétrospectivement une des choses les plus invraisemblables : la plupart des gens qui étaient aux toutes premières réunions étaient déjà atteints. Et ne le savaient pas. »
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commentaires
Bon, avec le recul évidemment, on voit qu'ils se sont un peu fourvoyés mais personne n'a jamais dit qu'être homo donnait la science infuse.
C'est vrai. Qui sait d'ailleurs ce que les générations à venir penseront de ce qui se dit sur la situation des gays aujourd'hui.