Avant que l’homosexualité ne soit fun, c’était la prohibition. Aller dans Le bar gay d’une petite ville était plus qu’une “aventure” comme celles “vécues” par les “stars” de la téléréalité. C’était même plus qu’un défi mental et physique à la parcours du combattant digne de la légion, beaucoup plus encore : c’était franchir un cap, s’affranchir, s’oublier et passer de l’autre côté ! Mais passer de l’autre côté de Quoi ? me demanderez-vous, un brin hautain. Mais de l’autre côté du monde, très chers. Rien de moins. Le bar était caché, clandestin.
Je vous passe les débuts hésitants et maladroits du jeune campagnard timide qui franchissait le seuil de cet endroit pour la première fois en tremblotant. Je vous laisse seulement le visualiser appuyer fébrilement sur la sonnette, tressaillir en entendant le judas s’ouvrir sur une forme obscure devant un rideau noir. Percevez le maintenant, marmonnant sa petite phrase maintes et maintes fois répétées avant de venir :
– C’est… c’est bien ici le bar… “La poule de la plage” ?
Évidement que c’est bien là ! La porte s’entrouvre. Une raie de lumière. Un jeune homme un peu endimanché comme s’il n’avait pas su comment il fallait s’habiller. Deux grands yeux perdus. Une porte qui s’ouvre en grand sur une créature multicolore aux cils extra longs et à la perruque improbable et mauve : Cachou. La barmaid ouvreuse et grande chanteuse du bar. Plus de doute, “La poule de la plage” c’est bien là, le jeune campagnard est bien au bon endroit. Un endroit hors du commun, hors du temps et comme je vous le disais au départ, hors du monde.
Le judas grillagé était important. Aussi étroit que le terrier du lapin d’Alice, il était le passage obligé. Des plus habitués aux débutants impressionnés, des bogoss parfumés aux solides gaillards barbus en passant par les ricanantes évaporées éperdues, tous, et toutes, arrivant d’on ne sait où, planqués sous des impers, calfeutrés sous de gros pulls ou de gros blousons, totalement incognito, arrivaient seuls ou par petites grappes jusqu’à ce judas de contrôle et la voix grave de garde. Celle qui vous répondait était reine, elle seule vous autorisait. La porte ouvrait alors souvent sur un sas car souvent sas il y avait besoin pour se débarrasser qui de son long imper, qui de son gros blouson pour se montrer qui en treillis, qui en T-shirt échancré sans manche, qui en robe longue. Le sas pour se délester, se dévoiler comme pour montrer patte blanche avant que les rideaux ne s’écartent. Revenons un instant à notre jeune petit campagnard intimidé suivant tel un poussin la grande cachou sur ses talons. Imaginez le la suivre et la perdre de vue. Visualisez le complètement décontenancé au milieu des spots et des regards. Rajouter le son. De la couleur. Quelques drag queens. Des rires sonores et des éclats de voix non retenus. Des visages radieux. Des sourires avenants. Quelques clin d’œil malicieux.
Des biceps luisants. Des torses nu imberbes. De la peau, et encore de la peau. De la sueur aussi. Des jeunes. Des vieux. Des moustachus, des barbus et des presque tout nus sur une mini scène centrale avec des ailes en plume entourant une créature chevelue en robe de soirée et en grande concentration la main tendu sur un micro. Enfin, et c’est important, du Dalida en bruit de fond…. Hors du monde, je vous disais.
deux heures moins le quart avant Jésus Christ
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