2019 s’achève prochainement et sauf agréable surprise, entre deux films de noël et quelques bêtisiers, mon constat est tout triste et je suis un homme abattu.
The Sisters of Perpetual Indulgence, de son nom de baptême, fut fondée en l’an 1979 dans la Jérusalem Gay américaine de San Francisco. Quarante ans que cet ordre plein de sœurs qui sont des saintes sans être des vierges rayonne et essaime dans le monde. Le couvent londonien fut fondé en 1987, le couvent parisien en 1992, le berlinois en 1993, et ainsi de suite, de l’Europe à l’Amérique latine, de la Suisse à l’Uruguay, jusque dans les villes de province, comme à Hambourg, à Manchester aussi. Jusque dans ma ville de Bordeaux, en 1994.
Avant l’autrichienne Conchita Wurst, qui modernisa définitivement l’image difforme et clownesque de la femme à barbe pour en faire un phœnix en robe-fourreau lamé or. Avant même l’israélienne Dana International en lamé argenté et son hymne à la femme trans, fait de références à Cléopâtre et Aphrodite. Avant ces deux grandes gagnantes du concours eurovision de la chanson en 2014 pour la première et en 1998 pour la seconde, avant elles, il y avait Sylvester.
En 1978, Dana jouait encore à la poupée dans son parc et Conchita n’était même pas un projet d’enfant en gestation que Sylvester faisait danser la planète dicso avec le tube « You make me feel (mighty real) ». Dans le clip promo de l’époque, pas de baignoire pleine de roses d’où jaillit une nymphe barbue, ni de plan d’ouverture avec diva sur canapé aux yeux de velours comme dans une pub pour Channel. Tout le contraire, en fait.
Avec Sylvester, c’est boules à facettes, dancefloor et danseuses en sportswears improbables qui alternent dans un montage vif et tout en déhanchés à petit culs pour annoncer l’arrivée de l’artiste, toute de cuir noir vêtue (blouson et sa petite jupe assortie), à la fois rockeuse et panthère, fière et sereine du haut de son escalier, en mode « vais-je bien le descendre ? ».
Si Conchita est un phœnix, Dana, une diva, Sylvester est une reine ! Toute la différence est là. Son éventail est son sceptre, son déhanché est sa prééminence royale. Elle est reine sans robe-fourreau en lamé, elle est reine parce qu’elle le sait ! Sa chanson est devenue culte et à été reprise des dizaines de fois. Elle a un message fort. Un message à des centaines de kilomètres de ceux des chansons de Conchita ou de Dana. « You make me feel (mighty real) » parle de dancefloor et de contact. « I feel your body close to mine » chante Sylvester dès le premier couplet. Le second couplet se passe « at home », le contact devient « darling » et « hot ». Sylvester chante les baisers échangés et conclut « it feels real good ». La chanson se termine sur l’unique phrase du refrain, chanté comme un mantra : « you make me feel, mighty real » ! Pas vraiment le type de message qui se promeut en prime time dans un concours familial. Même en lamé or.
Conchita veut la renaissance, Dana se veut diva mais Sylvester parle sexe, et plaisir anal ! De quoi faire passer les deux lauréates de l’eurovision pour des gamines aseptisées. Belles comme des barbies, prudes et figées comme les déesses vierges de l’antiquité, à l’image du monde politiquement correct qui les à vu éclore. Pourtant, et c’est là que ça devient intéressant, Sylvester aurait pu entrer dans l’histoire de la musique et des mouvements d’affirmation gay comme La Reine de la Nuit qui fit danser le monde occidental sur du sexe anal entre hommes.
Hélas, ce ne seras pas le cas. Reste quand même une grande figure qui, sans être une drag queen, reste quand même une grande Dame qui a beaucoup apporté à la communauté. Il aurait sûrement fait une grande Sœur de la perpétuelle indulgence. Ce qu’il doit sûrement être aujourd’hui dans les cieux. Arpentant les nuages, messager infatigable aux prêches aussi clairs que les titres de ses plus grand tubes : « Do you wanna funk ? », « Disco Heat » ou encore « Too hot to sleep » !
Sylvester avait beau être une reine de la night américaine et être étiquetée boule à facettes plus gay que gay que les Village People et Elton John réunis, elle n’était qu’une mini reine, à peine une reine de village à côté de celle que le magazine U.S « People » avait qualifiée de « Drag Queen of the century » quelques jours après sa mort en mars 1988. La bien nommée Divine ! Drag-queen, d’accord, mais actrice, surtout !
Actrice avec une scène culte, celle où elle mange une crotte de chien à la fin de « Pink Flamingos » de John Waters en 1972. Premier d’une Trash Trilogy dont suivront « Female Trouble » en 1974 et « Desperate Living » en 1977. « Pink Flamingos » est un ovni cheap devenu légendaire. Il mêle la nudité, la scatologie, l’exhibitionnisme, le viol, l’inceste, le meurtre et tout ce que vous pouvez imaginer de pire en 92 minutes de mauvais goût. Et il a pour personnage central Babs Johnson.
On est loin de « Glen or Glenda » d’Ed Wood en 1959. Le petit chandail et le pantalon couture du travesti en perruque blonde lisant les news sur son sofa moelleux font pâles figures devant les éructations déjantées d’une Babs Johnson alignant les verdicts de culpabilité de stupidité en robe de cocktail rose moulante et flingue à la main.
Glenda chipait les fringues de sa petite copine et s’affichait en négligé, chez elle. Babs défile en plein centre ville en robe échancrée, gigotant des fesses aux nichons sous les regards ahuris des badauds sur la chanson de Little Richard « The girl can’t help it », dans une parodie de Jayne Mansfield déambulant dans les rues et provoquant les émois masculins dans le film du même nom en 1956. Pour saisir tout l’intérêt de la scène, il faut savoir que les badauds sont de vrais gens, pas des figurants !
Pour finir, « Glen ou Glenda » avait un thème : pourquoi cet homme a-t-il les goûts vestimentaires d’une femme ? Dans « Pink Flamingos », Babs a un but. Nommée « l’être vivant le plus dégoûtant de la planète » par un magazine, elle se bat pour son titre, et son honneur. Pour Glenn Milstead (vrai nom de Divine), le rôle la catapulte star du cinéma underground américain. Une trajectoire montante pour celui qui faisait parti des Cockettes (à ne pas traduire pas coquettes !), une troupe de drag-queens qui se produisait quasi-gratuitement au Palace Theatre de San Francisco dans des pièces comme « Divine saves the world » ou encore « Journey to the center of Uranus » avec un jeu de mot impossible à traduire sans dénaturer le propos.
C’est d’ailleurs chez ses célèbres cockettes que Sylvester fit d’abord parler de lui. L’une de ses premières performances consistait à chanter le générique du club Mickey en tenue de cow-girl. Vous pensez bien que j’ai cherché, mais je n’ai trouvé aucune photo de ce moment de Far West Drag. Quoi qu’il en soit, c’est partie d’une troupe de Drag que Divine se retrouvera des années plus tard à embrasser Tab Hunter dans « Polyester » en 1981, toujours de John Waters. Suivra « Hairspray » en 1987. À chaque fois, un peu plus de budget. À chaque fois, un public de plus en plus mainstream.
Jusqu’en 1988, où Glenn Milstead est sollicité pour incarner l’oncle de Peggy Bundy dans la série « Marié, deux enfants ». L’histoire aurait pu reconnaître que Milstead est le seul acteur américain à la sexualité ouvertement gay à réussir une telle carrière. Il n’en sera rien ! L’acteur meurt d’une crise cardiaque avant le tournage de la série. S’il avait vécu, peut-être aurait-il eu un jour une série mainstream à son nom.
Pour en revenir aux Sœurs de la perpétuelles indulgence de mon début, vous seriez très clairement en droit de me rappeler que ni Divine, ni Sylvester n’ont sauvé des gays. Elles ont contribué à la visibilité homosexuelle à leur façon bien particulière mais pour être une vraie Sœur, il faut plus que le côté show-biz et travestissement.
Je vous répondrais pourtant que le côté show-biz et travestissement a bel et bien toujours été l’apanage des plus grandes sauveuses de gays. Dès les années 60, Marsha P Johnson et sa copine Sylvia Riveira rivalisent de strass et de couleurs vives.
La première avec ses chapeaux ou ses couronnes de fleurs à la Carmen Miranda, la seconde avec ses combinaisons faites-main à la fois futuristes et hors du temps. Les deux copines sont travailleuses du sexe (ça fait plus joli) et elles se retrouvent souvent pour enchanter le StoneWall in, petit bar gay New Yorkais. Jusqu’au fameux 28 juin 1969 où toutes deux se font balancées d’un coup dans la grande Histoire du mouvement Gay comme Dorothy au pays d’Oz. Suite à un énième raid de la police, les deux papillons de nuit s’élancent talons hauts, bras dessus, bras dessous, lipstick et sac à main pour se retrouver parmi les initiatrices des émeutes légendaires qui enflammeront Greenwich Village et poseront les bases d’un activisme gay plus revendicatif et plus dur.
Elles deviendront des figures incontournables du militantisme. Les émeutes de Stonewall marquent une étape et seront précurseurs de la première Gay pride. Lorsqu’on pense à toutes les prides qui ont suivi, on peut dire que Marsha et Sylvia ont effectivement sauvé des Gays !
Mais ces deux grandes Dames qui auraient elles aussi sûrement fait deux grandes Sœurs n’ont fait que suivre la route déjà bien tracée par cette dernière Dame avec laquelle je voudrais terminer mon article. José Julio Sarria, dite La Grand-Mère, dite La Veuve Norton, dite L’impératrice Absolue de San Francisco.
Le rossignol de Montgomery Street (The Nightingale of Montgomery Street), voilà le surnom de José Julio, chanteuse du cabaret « The Black Cat » de son état. Un parcours assez « classique » : un intérêt précoce pour les robes et les talons, une homosexualité accueillie comme une évidence, un rejet du monde du travail traditionnel, le milieu gay, un job de serveur, un concours de drag et une seconde place remportée. Suivirent la découverte d’un joli brin de voix, la passion pour l’opéra et un solide charisme : José avait trouvé sa voie, le rossignol était né !
Sa candidature gay et pro-gay eut droit à tous les honneurs que vous pouvez imaginer : mépris, ricanement, dégoût… Comme bien souvent, face à un tel cas, l’homosexualité rassembla contre elle des oppositions qui jusque-là n’étaient d’accord sur rien. Mais le 7 novembre 1961, le constat s’imposa : José Julio Sarria avait perdu… de justesse ! Le rossignol de Montgomery street venait tout simplement de faire apparaître le vote gay sur les radars électoraux.
Un vote gay qui permettra à Harvey Milk de réussir son élection pour ce même poste, dans la même ville, 16 ans plus tard, en 1977. Vous savez tous, très certainement, qu’il n’existe aucun film ou biopic sur José Julio Sarria. L’histoire étant toujours pleine de surprise, rien ne dit qu’un tel projet ne verra pas le jour dans plusieurs années. Le rossignol de Montgomery, devenu avec le temps L’Impératrice Absolue de San Francisco, a quand même sa rue dans la ville.
Depuis sa mort, des awards à son nom récompensent des figures LGBT. Une sainte ? Peut-être pas ? En tout cas, une figure essentielle de l’homosexualité californienne, partagée entre activisme et transformisme. Une figure qui aurait sûrement été la plus grande de toutes les Sœurs de la perpétuelle indulgence du monde, si elle n’avait pas déjà été l’Impératrice Absolue de toute une communauté.
Pour finir, Divine parodiant Jayne Mansfield dans « Pink Flamingos » :
Comment la croisade homophobe d'une chanteuse conservatrice et religieuse aboutit à sa propre mise sur…
Peut-on faire un film avec Barbie sans la présence de Ken ? Un blockbuster en…
Homosexualité et musique militante dans l’Angleterre des années 80 Angleterre Thatcherienne et homosexualité Si…
Quand le coming out devient perpétuel Être homosexuel À la naissance, la société assigne automatiquement…
Quand l'acceptation de soi devient révélation De l'urgence vitale de se sentir "normal" Qu'est-ce qui…
Gene Kelly ou Fred Astaire, deux facettes de l'homo-érotisme hollywoodien ? Lorsque l'on pense aux…
commentaires
Dieu vous bénisse mes sœurs !