Les couleurs qui nous entourent forment notre conception du monde. Certains voient la vie en rose quand d’autres broient du noir ou se font des cheveux blancs. On est rouge de honte ou vert de rage. L’alcool nous grise, l’argent se blanchi et le travail peut être au noir. On rit jaune, on voit rouge, on a la main verte, on donne carte blanche. Au fil des siècles, notre matière grise collective n’a jamais été avare d’expressions colorées. Elle est espiègle, ses associations d’expressions et de couleurs sont aussi rigolotes qu’imagées.
Aux jupes roses à volants et aux chemises bleu-ciel cintrées, les sans-le-sou préféraient du linge épais et enveloppant pour leur nourrisson. Ils suivaient intuitivement à la lettre un principe ancestral aujourd’hui suranné : on n’habille pas un enfant pour qu’il soit à la mode mais pour qu’il survive. Aujourd’hui, les enfants vivent … pour le grand bonheur du marketing. Reste le rose et le bleu. Et les gays au milieu !
Voilà en quelques lignes la symbolique chromatique commerciale attribuée aux filles. Associée à la vulnérabilité, la nudité chaste et la sensualité timide, le rose s’incarne avec Barbie dès les années cinquante et dans des romans à l’eau de rose où les jeunes filles en fleurs se plongent depuis la nuit des temps. Le rose est la couleur clichée idéale de la femme soumise, de la jolie naïve et de la petite fille angélique. Il l’est donc aussi pour les gays puisque ce sont des femmelettes ou des fillettes.
« La lettre écarlate » de Nathaniel Hawthorne (1850) relate l’histoire d’Hester Prynne, une jeune femme vivant dans une communauté puritaine (aux États-Unis, au cas où vous douteriez).
En 2004, le groupe canal + lance à grand renfort de publicité la première chaîne tv gay de l’histoire de l’audiovisuel français. La communication se fait en grandes pompes au palais de Chaillot avec 2500 people de tous les horizons. Du gratin télévisé, cinématographique, politique, et même sportif. Une marraine : l’inoxydable Line Renaud. Et un président : Pascal Houzelot.
Le même qui avait déclaré la veille du lancement que s’il « n’avait pas été gay, il serait devenu un bourgeois de droite classique ». Coup de bol, donc ! Le slogan pour la promo n’est pas ce qui se fait de mieux : « La liberté, ça ce regarde ». Mais tout l’intérêt de l’événement est ailleurs, dans le nom de la chaîne : Pink Tv. La soirée est également en partie dédiée aux homosexuels déportés dans les camps de concentration nazis.
Une décennie plus tôt, le 1er décembre 1993, Act up couvrait l’obélisque d’un gigantesque préservatif rose bonbon.
Un rose homosexuel qui exige l’attention. Un rose qui parle sida et sexualité gay sans détour, associé à un slogan simple, brut et franc : silence = mort. Le rose d’Act up n’est pas le rose Barbie. Avec le triangle rose inversé comme logo, l’association revendique un héritage douloureux, le met en avant et place l’homosexuel citoyen dans le jeu politique. Le rose est devenu militant.
En 1971, le plasticien James Bidgood réalise Pink Narcissus. Narcisse d’un côté, le rose de l’autre. Cela semble aujourd’hui évident, il fallait pourtant y penser.
Avec un budget riquiqui de 27000 dollars, entièrement tourné dans son petit appartement New Yorkais de Hell’s Kitchen et en format amateur Super 8 sur une durée de sept ans, le film peut être considéré comme fait maison.
Réalisation, scénario, direction photo, costumes et maquillage sont de James Bidgood, qui est également producteur.
Plusieurs casquettes nullement synonymes de plusieurs salaires. Une intrigue aussi épaisse qu’une bulle de savon : un gigolo en attente de clients rêve de mondes dont il est le personnage central. Le résultat : un imaginaire sucré, de l’érotisme flamboyant et toute une palette de tons roses servant d’écrin à la plus affriolante des friandises, Bobby Kendall.
Un bonbon tout en rose qui donne envie de goûter et invite à des sucreries bien plus stimulantes aux goûts des gays que les chamallows roses ou les fraises tagada. Tour à tour Matador ou esclave Romain, les fantasmes du personnage sont autant de propositions de jeux sexuels où les décors excentriques virent au kitch. Le rose se mêle à l’underground comme à l’antiquité sublimée ou aux pissotières.
L’œuvre de Bidgood est souvent considérée comme un chaînon essentiel de l’art gay. Peut être est-ce le chaînon qui transforma le rose tapette en rose gay ? Un rose sexué et chatoyant qui allait inspirer les photographes Pierre et Gilles ou encore David Lachapelle.
Artistes qui allaient faire du kitch tout un Art, et du rose une couleur emblématique, hautement ambiguë, située quelque part entre l’excentricité, l’innocence et le soft trash. Un rose résolument gay.
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commentaires
Je viens de fini le livre : "Rouge, histoire d'une couleur" de l'historien Michel Pastoureau.
Ton article pourrait bien s'y insérer d'autant que l'auteur a oublié de traiter ce sujet.
Bonjour, justement en faisant mes recherches sur le rose, je suis tombé sur des informations sur ses livres. Je pense me commander le livre sur la couleur bleu. Merci pour l'info. A bientôt