Quand le slip change, tout change
Années 70, l’homme mute
En cette période de coronavirus, de couvre-feux et de confinement, je vous propose de nous remémorer l’image de l’homme dans les années 70. Pas pour nous plonger dans la version décadente du mâle post-hippie chevelu et de son rejet des règles de la société mais davantage vers l’autre partie de la société, cette large majorité masculine qui a totalement épousé le mode de vie centré sur la consommation de masse.
Une massification symbolisée par la diffusion intensive des équipements ménagers et l’essor des grandes surfaces. Des supermarchés initiateurs de la bouffe en boîte, la purée déshydratée, le café moulu, l’eau en bouteille, les yaourts aromatisés ou encore le lait en pack cartonné.
Une société de consommation post-nazisme que Pier Paolo Pasolini appelait “le nouveau fascisme”. Celle du règne de la bagnole et du caddie, celle du plastique partout.
Celle également où la télévision couleur trône dans chaque salon, apportant à chaque mec français sa dose quotidienne de culture américaine.
Une culture virile et poilue : chaînes en plaqué or qui brillent, pantalon moule-burnes et pattes d’éph’, godasses improbables, chemises fleuries et cols pelle à tarte. Avec au beau milieu de tout ce fatras, le corps de l’homme, en pleine mutation. Une révolution. Mais pour apprécier pleinement ce bouleversement vestimentaire et, osons le mot, sexuel, je vous propose de revenir aux fifties. À Elvis, pour être plus précis.
Avant les années 70, Elvis
En juin 1956, Elvis n’est encore qu’un jeune freluquet d’à peine 21 ans lorsqu’il passe en direct au Milton Berle Show. Son interprétation de “Hound Dog” cette soirée là fera date.
Elle donnera également lieu à une importante controverse médiatique et à des cris d’orfraie chez les religieux. Certains diront que le rock est la musique du diable, ce qui veut dire en réalité la musique du sexe. “Elvis the Pelvis” est né, sa carrière est lancée. Pourtant les déhanchements du jeune rocker semblent bien sages avec le recul. Pour comprendre le pourquoi du comment de tout ce raffut, il faut se rappeler qu’à l’époque, le costume trois pièces est roi et la cravate de rigueur.
Elvis, d’ailleurs, ne déroge pas tellement aux codes vestimentaires en vogue durant les fifties. Certes, il n’a pas la cravate, ce qui en fait déjà presque un délinquant, mais il a bien la veste rigide, une belle chemise toute repassée, son pantalon noir est classique et on l’imagine à pinces. Le chanteur porte des soquettes bien blanches et de beaux mocassins, qu’on imagine bien cirés, c’est évident.
Le scandale vient du contraste. Le contraste entre ce corps masculin se trémoussant tel un possédé et ce look BCBG de bon garçon endimanché, tout propre de partout jusqu’aux cheveux, gominés et bien coiffés, jusqu’à la mèche au balayé travaillé. Ce look BCBG est le look standard de l’époque, comme il l’avait déjà été dans les années 40, et les années 30 avant, et ainsi de suite…
Pour faire bref, un look qui engonçait le corps masculin, le corsetait dans des costards austères. L’homme portait un uniforme, en quelque sorte. Et qu’est-ce qu’un uniforme sinon une tenue réglementaire ? Un habit à la fois symbolique d’une certaine idée du masculin mais également une esthétique qui égalise par la contrainte, institutionnalise un genre et normalise le “bien s’habiller”. Seule les femmes pouvaient prétendre à l’extravagance, à la variété et au charme.
L’homme bien, quant à lui, portait un costume. Un costume qui cache, qui camoufle, supprime et rend tout homme qui le porte, uniforme. Mais cacher quoi, que diable ? Mais le corps de l’homme, pardi ! Car sous le costume et au delà de ce corps démoniaque, il y a le sexe de l’homme. Les religieux l’avaient bien compris.
En se trémoussant sans vergogne devant des minettes presque en rut, Elvis était un sexe. Pire, il était un sexe malgré le costard, la belle chemise et les soquettes blanches ! Double pire, son déhanché était presque efféminé !
Année 70, le corps au centre de tout
A peine vingt ans plus tard, entre deux chocs pétroliers et l’agonie des trente glorieuses, un cataclysme sans précédent dans l’histoire de la mode bouleverse les mentalités et projette le corps de l’homme dans un monde nouveau. Une nouvelle ère qui transforme tout ce qui était la norme en cul-cul vieillot. Le look à la James Dean devient suranné, et même Elvis, sa mèche gominée et ses déhanchés pelviens, finissent par faire quiche. Cet avènement d’un nouvel âge est une conséquence de plusieurs phénomènes.
Deux d’entre eux seront fatals au costard sombre, uniforme et standard du mec bien : la popularisation de la musique disco, amplifiée par le succès colossal du film “Saturday night fever” et de sa B.O en 1977, couplée à la popularité croissante de nouveaux types de tissus aux origines chimiques, peu chers et résistants. Un cataclysme qui affectera tous les styles et tous les types de vêtements. Et pour une fois, l’homme est au centre de ce grand chambardement au même titre que la femme. L’homme, tel Scarlett, emporté par le vent, dans le tourbillon de la mode.
Fringues en polyester aux motifs psychédéliques, pulls en crochet et autres pantalons pattes d’eph aux couleur improbables, lorsque l’on regarde quelques pubs de l’époque, l’homme des années 70 semble être sorti d’une autre planète. Comme s’il s’éveillait après une longue abstinence vestimentaire, le mâle semble se chercher une nouvelle image. Du coup il ose tout. Les costards beiges, bleu-marines et noirs sont remplacés par des couleurs pop. Ça tape la rétine et ça pique parfois les yeux. De l’orange, du violet, du vert pomme ou kaki, du jaune poussin, du rouge passion, du marron ou du rouille.
Dans le doute, on mélange tout. Puis tant qu’on y est, on juxtapose à qui mieux-mieux. Des fleurs, des carreaux, des rayures. L’allure générale devient décomplexée et multicolore, tantôt psychédélique, tantôt ethnique.
Deux mots, seuls, résument le tout et sont à retenir : flu-i-di-té et dé-con-tra-ction. Dans ce monde nouveau, le corps de l’homme n’est plus contraint par le vêtement du type costard, chemise, cravate, soquette blanches et mocassins. Au contraire, le corps masculin est désormais la base autour de laquelle le vêtement doit s’ajuster. L’homme des seventies aspire à de la légèreté et à du souple sans prise de tête. Son corps aspire à la liberté, c’est la fin de l’uniforme.
Années 70, le costume trois pièces révolutionné
Malgré le grand chambardement, le costume trois-pièces n’est pas mort pour autant. Il est juste rénové, certains diraient revigoré. On le propose désormais en laine, en velours, voire même en veau retourné (suede). Et tout en couleur, évidement. Dans le détail, encore une fois, tout part du corps. Les vestes sont coupées très serrées et épousent le torse, jusqu’aux hanches, où elles s’évasent pour libérer le bassin.
Un style unique que vous ne retrouverez dans nulle autre décennie du XXème siècle. Les boutons sont souvent recouverts de tissu, quand ils ne sont pas en métal rutilant façon or, ou tout simplement en plastique aux couleurs de la veste. Les revers sont larges comme des pelles à tartes.
Sous la veste, c’est le triomphe de la chemise synthétique comme le polyester, plus léger et plus facilement lavable. Toujours en fonction du corps masculin, la chemise est cintrée, pour ne pas dire moulante, et les formes sont mises en valeur. Les ventres plats triomphent et les pectoraux donnent du relief. La chemise magnifie les volumes plus qu’elle ne les dissimule.
Les bedaines sont priées de se rentrer sous peine de faire sauter les boutons. D’ailleurs, or milieu purement professionnel, les boutons n’ont qu’une utilité, celle d’être déboutonnés jusqu’au milieu du thorax. L’homme des 70s a adopté les décolletés plongeants féminins. Ces décolletés sont des fenêtres ouvertes sur de la peau de mâle nue, parfois velue, et souvent ornée de chaînes bien grosses et bien voyantes. Bien sûr, la chemise arbore, elle aussi, un grand col pelle à tarte, sinon ça ferait tâche.
Pour finir, si la veste se veux un peu sérieuse, même entièrement en laine verte, la chemise des seventies se veux plus “fantaisie”. Là encore, l’homme nouveau ne recule devant rien. On retrouve des pastels et de nombreux imprimés géométriques, comme de gros carreaux par exemple, ou de gros ronds, parfois. Et en couleurs ; mais ça, vous vous en doutiez.
Le pantalon de costume, quant à lui, a une coupe bien particulière. Tout part des fesses, du tour de taille et de l’entre-jambe. Tout doit être soutenu et galbé comme dans une gaine. Cela vaut pour le costume, mais également pour les jeans comme pour toutes autres sortes de pantalons. L’homme des seventies est avant tout un fessier. En costume ou en jean, ce fessier doit pouvoir se mouvoir sans contrainte mais aussi garder ses formes.
L’élasticité et le maintien de cette partie vestimentaire est donc primordial. L’homme des années soixante-dix a conscience de son arrière-train, jamais il n’aurait toléré une taille large comme aujourd’hui. Un fessier ferme et charnu est un symbole de virilité, presque autant qu’un décolleté plongeant sur un poitrail nu et velu. Pour accentuer l’importance des fesses de ces messieurs, la coupe d’un pantalon de l’époque finit invariablement évasée au niveau des chevilles.
Avec aux pieds, la chaussure à talon, qui a les faveurs de tout le monde, chez les hommes comme chez les femmes. Elle grandit la silhouette, fait du bruit quand on marche et comme toute bonne godasse surélevée, accentue le déhanché de celui qui les porte. Les fesses, encore et toujours à l’honneur, au centre de toute la tenue vestimentaire. Et dire qu’une quinzaine d’années plus tôt, Elvis faisait efféminé….
Années 70, au plus près des fesses, la révolution du slip
L’art vestimentaire n’est pas la seule donnée qui caractérise la sexualisation de l’homme de cette décennie. On porte également des lunettes à pont avec toutes sortes de montures colorés ou transparentes. L’homme soigne son look. Les cheveux longs sont de mise et il n’est pas rare de voir les hommes porter la barbe. Moustache fine ou barbe fournie, rien n’est oublié, même le brushing. Mais pour évaluer pleinement l’importance du changement qui s’est opéré dans les têtes masculines, il faut surtout se pencher sur ce qui ne se voit pas mais qui est pourtant au début de tout. L’intimité absolue du mâle, et la perception qu’il s’en fait à l’époque.
Car une vraie révolution vestimentaire, ça commence par une révolution des sous-vêtements. En l’occurrence le slip, pour ne pas le nommer, et ce qu’il y a dedans, bien entendu. Le slip kangourou était déjà une grande avancée lors de son arrivée sur le marché dans les années 40. Dans les années 70, il deviendra une star, et renverra pendant un temps le caleçon dans les reliques de l’histoire avec le pagne et la culotte.
Relooké par de grandes marques comme Calvin Klein, il rapetisse et se recentre sur les deux nouveaux points essentiels, voire élémentaires pour tout mec s’achetant des slips : le maintient et l’apparat. Le maintient, d’abord. Le slip devient moule-bite. Les testicules ne gigotent plus, le sexe est plaqué mais pas compressé. Ça peut paraître futile mais c’est hyper important. Un slip bien ajusté sait se faire oublier. Il libère les cuisses et suit les mouvements du bassin. Il doit aussi être pratique quand on veux pisser, d’où la généreuse poche à ouverture extérieure horizontale.
Autre atout d’un bon maintient, le slip devient moule-boule. L’époque est aux culs bombés, il faut des fesses moulées. Le slip gaine l’arrière train de ces messieurs, il relève les fesses molles et permettent d’en augmenter leur volume apparent. Un push-up du cul en quelque sorte. Mieux d’ailleurs, car le slip est confortable et n’irrite pas la peau, même velue. Les élastiques maintiennent mais ne doivent pas marquer. C’est que l’homme des seventies est exigeant, pour son séant !
Enfin, et pour terminer, le slip devient une tenue d’apparat, un véritable accessoire de mode. Les designs sont plus sexy, plus colorés, voyants et parfois humoristiques. Les tissus varient et les slips cotons côtoient les slips en polyamide dans les tiroirs masculins. Un bon slip qui maintient permet à l’homme des années 70 d’exhiber sans vergogne et en pleine rue ses attribues virils sous un pantalon bien serré. Une fois le pantalon descendu et dans l’intimité des préliminaires avant l’action, un beau slip d’apparat devient le dernier voile protégeant toutes les vertus. La poche Kangourou trouve alors une toute nouvelle utilité. L’élasticité du vêtement prend toute son importance.
Mais ce sont la forme, les échancrures, la texture, les coloris, les motifs décoratifs ou toutes autres fioritures, garnitures et ornements qui en font l’ultime paquet cadeau affriolant et gorgé de promesses au moment solennel du grand déballage. Rarement l’homme ne s’était à ce point préoccupé de sa petite lingerie et des mille et une façon de rendre son intimité attractive, coquette et alléchante.
Pour bien comprendre ce côté hypersexué qui se dégage de la mode masculine des années soixante-dix, il faut avoir le slip en tête. Et lorsqu’un mâle lambda s’avère prêt à placer ce qu’il a de plus précieux dans un slip soigné et appétissant, on comprend mieux pourquoi tout le reste de la tenue est à l’avenant.
Pour terminer, je vous ai fait ce petit montage vidéo. Petits polos moulants ou chemisettes déboutonnées jusqu’au nombril pour des pectoraux saillants. Des ceinturons à grosse boucle et des pelles à tartes colorées.
Bel article ! Ça m’a provoqué un gros coup de nostalgie !
merci. J’étais trop petit pour connaître les années 70. Je les trouve fascinantes