Les années 60 américaines commencèrent comme une photographie officielle de Jacqueline Kennedy.
C’est à dire dépourvue de tout ce qui dépasse et dans la continuité des années 50. Posée, sereines et rose bonbons, comme à Hollywood, où les femmes étaient représentées comme étant toutes sensuelles, naïves et rêvant toutes d’être mères.
Les hommes quant à eux, étaient tous de grands gamins virils que seul la bague au doigt pouvait assagir. Une fois Marilyn Monroe morte et Jayne Mansfield en déclin, les femmes qui faisaient rêver s’appelaient Doris Day, Sandra Dee ou Julie Andrews. Ça calme. L’homme, quant à lui, était soit un nounours viril, policé et câlin comme Cary Grant, Rock Hudson ou Jack Lemon, soit un macho viril, primitif et vigoureux comme Lee Marvin, Steve Mc Queen ou Sean Connery.
Autant dire que l’arrivé de JFK et de Jackie à la présidence ne détonna absolument pas. Ils représentaient même la suite logique des productions cinématographiques de l’époque.
Après quatre décennies de couples glamours et fabriqués pour être vendeurs de magazines people, la quintessence du couple hollywoodien arrivait à Washington. Lui : beau gosse et sourire carnassier. Elle, élégante et femme, du brushing jusqu’aux escarpins. Ajoutez deux gosses de sexe différent et l' »American way of life » dans toute sa splendeur stéréotypée faisait son entrée à la maison blanche. L' »American way of life » version Jack and Jackie. Dans cet univers hétéro-normé, l’homo-érotisme masculin était considéré comme crade. Associer « corps masculin » avec « sexe’ était malsain, révoltant. Jusqu’à Mick Jagger.
Elvis Presley avait ses déhanchés, Marlon Brando avait sa moue boudeuse et James Dean avait sa sensibilité. Les trois avait préparé les sixties aux lèvres énormes et aux postures arrogantes de Mick Jagger. Androgyne et imberbe, Mick Jagger avait la bouche toujours ouverte.
Il était maigre comme un clou, fringué n’importe comment et il avait des cheveux de partout. Sur scène, souvent torse poil, avec sa taille de guêpe et ses déhanchements féminins, la sensibilité de Jagger faisait pute.
Il exhibait sans complexe les défauts de son corps, et du coup les mettaient à son avantage. Les photographies le représentant sur scène sont légions. Toutes le fige dans des postures improbables, le corps dégingandé, les bras dans tous les sens et la bouche grande ouverte, prête à gober goulûment son micro. Peu d’entre elles parviennent réellement à saisir l’érotisme hyper-sexualisé du personnage.
Un photographe de concert n’est peut être pas le plus à même de pouvoir capter cette énergie là. Surtout lorsque le modèle en question est en mouvement. Pour pouvoir capter l’érotisme du modèle photographié, il faut que le photographe le perçoive lui même. C’est son œil à lui qui va permettre ensuite au futur spectateur de voir ce qu’il n’avait pas vu jusqu’alors. L’œil du photographe lui met le doigt dessus, en quelque sorte. Je vous propose deux photographes et deux regards qui ont grandement contribué à faire du modèle Jagger une nouvelle incarnation du sexe et de l’érotisme masculin. Mieux encore, dans la série « dis-moi ce que tu photographies, je te dirais ce que tu aimes », je vous propose deux regards célèbres et singuliers qui parvenaient à saisir tout l’érotisme du jeune chanteur… en le photographiant tout habillé. C’est dire !
Commençons en 1966. Gered Mankowitz à vingt ans. Sa biographie ne dit rien sur sa sexualité et laisse sous-entendre que ce photographe important de la scène rock anglo-saxonne a passé sa vie en célibataire. Un artiste solitaire parce que marié à sa passion… On sait tous oh combien il en existe des tas ! Mais sans préjuger de rien, concentrons nous sur ce cliché en particulier. L’un des plus célèbres de Mick Jagger, intitulé « Mick Jagger and Aston Martin, London, 1966″. Présenté par Gered Mankowitz lui-même comme un simple cliché pris parmi d’autres devant le vieil appartement du chanteur sur Baker Street. Un cliché de la série « at home » faite avec un Hasselblad 500.
Passons outre le fait qu’un Hasselblad 500 était un boîtier professionnel (suédois, pour l’info) et qu’il eut son heure de gloire quelques années avant, lorsque l’astronaute américain Walter Schirra l’emporta avec lui en 1962 pour immortaliser l’espace lors du vol pour le programme Mercury de la NASA. Disons simplement que l’Hasselblad 500 était surnommé l’appareil photo des astronautes et que ce n’était pas le genre d’appareil premier prix qu’on trouvait à la grande surface du coin.
Et bien Gered Mankowitz, du haut de ses vingt ans, en avait un. Signe qu’il n’était pas le perdreau de l’année en photographie. Il avait d’ailleurs déjà photographié Marianne Faithfull pour sa promo et c’est son manager à elle, Andrew Loog Oldham, qui lui demanda de photographier son autre groupe : The Rolling Stones. L’idée du « simple cliché parmi d’autres » est donc largement à relativiser. Maintenant, la photo elle même. Ce qui saute aux yeux est au centre. On se demande même pourquoi Mankowitz n’a pas plutôt appelé sa photo : « les lèvres pulpeuses de Mick » ?
La composition d’une photo peut varier en fonction de ce que l’on veut mettre en avant. La règle des tiers, les points forts, la spirale magique ou le nombre d’or… autant de savantes géométries qui guident l’œil du spectateur vers ce qui compte pour le photographe. Ici, nous avons à faire à un cadrage à peu près carré.
A présent, faites mentalement un croix sur le « simple cliché parmi d’autres » de Gered Mankowitz, vous devriez inévitablement tomber sur les lèvres pulpeuses de Mick. Elles sont presque au centre de la composition. Télécharger la photo et tournez là dans tous les sens. Refaites l’exercice autant qu’il vous plaira, c’est invariable. En tout cas, on ne prête attention ni à son vieil appartement sur Baker Street (le cliché est portant tirée d’une série intitulée « at home »), ni à son Aston Martin DB6 (qui est pourtant dans le titre même de la photo). Comme si tout était caché derrières les lèvres pulpeuses de Mick, assis au premier plan. Vous remarquerez que l’on voit bien les pavés, par contre. C’est que Mankowitz est allongé à même le sol, il photographie en contre plongée. La contre plongée donne de l’importance au sujet, le point fort mis en avant est accentué. Mais pourquoi donc se foutre par terre ? Je sens bien que cette question brûle vos lèvres, pulpeuses ou pas. Et bien vous savez quoi ? Je vous laisse le devinez…
Gered Mankowitz photographia Mick Jagger à plusieurs reprises, d’autres clichés de lui montre cette même façon de regarder son modèle : en contre plongée pour de grand yeux, et ces lèvres, toujours pulpeuses.
En 1967, soit un an après, Cecil Beaton a 63 ans.
Je vous le donne en mille, il n’est pas le public cible des Rolling Stones. Cependant, rien n’indique que les Rolling Stones se soient intéressé au travail de Beaton non plus. À l’époque, ces derniers viennent de faire un carton avec l’album « Aftermath » l’année précédente, et en 1967, le groupe triomphe à nouveau avec l’album « Between the buttons » dont la photo de la pochette est signée… Gered Mankowitz.
« Satisfaction » est depuis deux ans devenu un tube mondial, les déhanchés scéniques torses poils et cul bombés de Jagger font désormais parti de l’image du groupe et sont devenus, à l’orée des seventies, une attitude élémentaire et indispensable à avoir sur scène pour tout chanteur chevelu vraiment rock et rebelle.
Sur cette planète Rock, un concert, ça se termine presque à poil et un cul, ça se tortille. Les fans le veulent et ils le valent bien. Cette conception du show déculpabilisa certains chanteurs à vie.
Sur une toute autre planète, à des années lumières de tout ça mais en cette même année 1967 se trouve Cecil Beaton. Ancien portraitiste Royal et grand ami des stars de l’âge d’or Hollywoodien, il a travaillé pour Harper’s Bazaar, Vogue et Vanity Fair. Des publications somptueuses et prestigieuses qui sont encore en 67 des références, bien que toutes un poil éloignées du Rock’n’Roll chevelu de Jagger.
Créateur de costumes célèbre, deux fois oscarisés, notamment pour My Fair Lady en 1964 (avec la très hippy Audrey Hepburn), Cecil Beaton est en cette fin des sixties, un retraité mondain qui a baigné toute sa vie dans du beau linge entouré de beau monde. Illustrateur, chroniqueur, costumier, scénographe et photographe de mode, Beaton est un vieux sage vénéré.
Il l’était parce qu’il avait l’œil, un œil unique et talentueux, c’est le moins que l’on puisse dire. Son œil habilla de très belles actrices, il photographia beaucoup de princesses et de femmes du grand monde. En privé, son œil appréciait surtout les garçons. C’est en grand adorateur du corps masculin que son œil s’est un jour posé sur le freluquet du rock qui faisait tant de tapage médiatique. Beaton reconnaîtra plus tard avoir été intrigué par Jagger, bien qu’il fut initialement un peu déçu par son manque de conversation.
Beaton comparait la peau du jeune chanteur a du blanc de poulet. Il aimait sa façon de tenir une cigarette et sa bouche trop grande le fascinait… mais j’ai eu beau chercher, il n’a jamais expliqué pourquoi !
“I was fascinated with the thin concave lines of his body, legs, arms. Mouth almost too large, but he is beautiful and ugly, feminine and masculine, a ‘sport’, a rare phenomenon. “ Cecil Beaton – interview pour Sotheby’s
Ce cliché, pris par Beaton en 67 semble refléter toutes les impressions que Jagger lui faisaient. Le travail sur les lumières est soigné. On est très loin des polaroids à la Warhol. Contrairement à Mankowitz qui aimait saisir Mick sur le vif en studio ou simplement assis en tailleur par terre sans autre effort de composition, Beaton, lui, met Jagger en scène. Jagger prend la pose. Il a les mains jointes comme un communiant. Son regard est absent comme si derrière, le crâne était vide. Une brindille de chaque côté pour faire ambiance jardin sauvage. Beaton photographie Jagger comme s’il était une apparition, au détour d’un bosquet. Comment ne pas penser à John Gilbert tombant sous le charme de Greta Garbo dans le film « The Flesh and the Devil » (1926).
Planquée sous des branchages épais au cœur d’un jardin luxuriant, assise sur un banc, envoûtante et muette (cinéma muet oblige). Dans cette scène légendaire, entre ombres et lumières, Garbo n’est plus qu’un visage, deux grands yeux et une bouche, prête pour Le baiser. « La chair et le diable » est le titre du film en français.
Il pourrait être également le titre du portrait de Jagger par Beaton. Le parallèle entre la photo de Jagger et la mise en scène de Garbo par Clarence Brown, le réalisateur de « The flesh and the devil » peut sembler hardie. Sauf quand on sait que Beaton était un grand ami de Garbo, qu’il l’a beaucoup photographiée et que leur première rencontre s’est faite lors d’une soirée hollywoodienne, …dans un jardin. Une rencontre qui le marquera.
En 1968, Beaton signe cet autre portrait de Jagger. En couleur cette fois, et torse nu.
Mick semble attendre son vieux sage de photographe, nonchalamment alangui sur un lit qu’on imagine douillet, au fond d’une pièce entre tentures et rideaux bon marché. Une pièce qui ressemble à un studio d’étudiant, ou à un boudoir hippy, peut être l’arrière d’un van en tournée ou… une chambre de passe ? En tout les cas, on peut douter que Cecil Beaton ait installé Jagger dans ce décors au pif, juste parce qu’il se trouvait là. Un mélange de chair, d’angélisme et de rock’n’roll. Et ces lèvres pulpeuses, toujours entrouvertes et démoniaques.
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